II.2.4. Les usages monastiques de l’eau

Dans le monastère, l’eau est utilisée pour différents usages. D’une certaine manière, il est permis d’envisager différents types d’eau qui se distinguent les uns des autres dans le cadre d’une hiérarchisation symbolique des tâches et des espaces. À cette typologie des eaux pourrait en particulier correspondre une topographie précise qu’il est possible de percevoir à partir du IXe siècle. La diversité des eaux est déjà sensible dans la description que fait Cassiodore du monastère de Vivarium. L’auteur latin élabore trois essences de l’eau en fonction de leur destination. L’eau de la rivière convient aux moulins et à l’irrigation des jardins du monastère. L’eau de mer avec ses viviers est destinée à l’élevage du poisson, et par extension à la nourriture des moines. L’eau de source est utilisée pour la boisson des moines et pour le bain des malades347.

Si Cassiodore établit une séparation empreinte de pragmatisme, d’autres textes admettent une diversité symbolique.

Pour Tertullien, les variétés des eaux sont comme les espèces différentes à un genre unique qui trouve son origine dans le début de la Genèse348.

Dans son encyclopédie allégorique, Raban Maur donne aux diverses formes de l’eau une signification symbolique349. Les différents états de l’eau prennent des connotations positives ou négatives350. L’étang est ainsi réuni à la philosophie. La fontaine est liée au Christ et au baptême. Le Christ incarne la fontaine du Paradis d’où sortent les quatre fleuves qui sont associés aux quatre évangélistes. En revanche, le puits, la glace, le brouillard décèlent des significations négatives. Pour certaines entités, deux sens allégoriques sont possibles. Le fleuve renvoie au salut spirituel émanant du for intérieur mais aussi aux attaques des persécutions. Le torrent magnifie la grâce céleste et induit la tentation. Au déluge correspondent les images du baptême et de l’hérésie. À travers le document, l’eau apparaît comme un élément ambigu. Celui-ci caractérise dans ses meilleurs aspects l’eau des origines du monde, mais il peut parallèlement entraîner le Chrétien vers la perdition.

Il faut prendre en compte cette dualité fondamentale dans l’approche des relations que l’eau entretient avec le monastère. Dans le cloître, l’eau prend diverses formes. Son état le plus insigne est l’eau lustrale. Elle circule avec les hommes dans l’accomplissement de la liturgie. À l’opposé, il y a l’eau qui se charge d’immondices, et que l’on éloigne le plus possible des lieux sacrés. Entre ces deux extrêmes, il faut trouver des eaux intermédiaires qui en faveur de leur fonction, mais aussi de la signification symbolique qui leur est attachée, vont être distribuées dans des parties précises du lieu de vie des religieux.

Notes
347.

Cassiodore, Institutiones, I, 29, 1.

348.

Tertullien, De baptismo, IV.

349.

Raban Maur, De rerum naturis, De diversitate aquarum, Migne, P.L.111.

350.

C.f. Stephan Schuler, 2002, p. 14-15.