b. L’eau de la fontaine

Dans le monastère du Moyen Âge classique, les moines pouvaient aller plusieurs fois par jour au lavabo. Ils se lavaient la figure et les mains le matin et au milieu de la journée. Ils empruntaient habituellement le chemin de la fontaine avant d’aller au réfectoire. L’eau provenant du lavabo pouvait être puisée pour la boisson des frères et pour laver le linge. Dans beaucoup de cloîtres, ce pouvait être la seule alimentation en eau. Dans certains cas, l’impossibilité de pouvoir se procurer l’eau d'une source pousse les moines à trouver des systèmes alternatifs comme le puits ou la citerne. À ses débuts, le monastère de Moûtiers-Saint-Jean manquait d’eau. Jean de Réomé débarrassa un puits d’un énorme serpent qui y nichait afin de permettre à la communauté de Moûtiers de l’utiliser375. Dans les forêts de Piousat (Puy-de-Dôme), l’ermite Aemilianus utilisait pour arroser son jardin une alimentation provenant d’un réservoir recueillant l’eau de pluie376. Le monastère conventuel de San-Pere-de-Casseres, en Catalogne, semble avoir utilisé une citerne qui se développait sous le préau du cloître. Mais, dans la mesure du possible, les moines vont équiper leur monastère d’eau courante. Grégoire le Grand n’attribua-il pas à Benoît la création d’une source abondante pour les besoins de trois des monastères de Subiaco ? Bède le Vénérable rapporte, selon un procédé de thaumaturgie assez proche, l’exploit de l’abbé Cuthbert permettant à ses moines de disposer d’eau sur une île qui n’en possédait pas377. Un miracle du même type est réalisé au moment de la fondation du monastère Saint-Pierre de Crespin : l’abbaye est installée vers 697 par Landelin, abbé de Lobbes, après qu’il ait miraculeusement fait jaillir une source378. Les textes donnent aussi des mentions qui permettent d’attester de l’existence d’adduction d’eau pour les besoins des moines. Près de Dompierre-sur-Besbre, la cellule du reclus Lupicin était alimentée en eau par un petit canal379. À Condate, l’ermite Romain s’installe à la confluence entre deux cours d’eau près d’une source abondante. La Vie des Pères du Jura signale que cette source est par la suite canalisée dans des tuyaux de bois jusqu’au monastère380. Si le plan de Saint-Gall ne donne pas de tracé de conduite, les textes sur le monastère nous instruisent de certains équipements hydrauliques. Une conduite d’eau est mentionnée plusieurs fois dans le monastère du IXe siècle. Le distique du moine Notker signale qu’une énorme morille fraîche avait poussé en plein hiver dans un coin du chauffoir près d’une fuite de l’aqueduc. En 891, l’aqueduc est de nouveau et indirectement mentionné dans un document juridique se rapportant entre autres à l’utilisation du bois pour les canalisations381. D’après Adson, abbé de Montierander, saint Bercharius a apporté l'eau de loin au monastère382. Émile Lesne envisage que dès les premiers temps de l’installation monastique, le cloître de Moissac était fourni par un aqueduc capturant les eaux du ruisseau du Griffoul383. Le monastère de Reichenau avait la jouissance d’une source qui jaillissait dans le cloître, à proximité de la cuisine. Ses eaux se trouvaient par la suite canalisées pour alimenter un vivier placé en contrebas384. Cependant, la fontaine avait un faible débit. Alfons Zettler suppose que des puits palliaient le manque d’eau385.

Notes
375.

Fabienne Cardot, 1987, p. 213. D’apr. Grégoire de Tours, In gloria confessorum, 87.

376.

Vitae Patrum 12.

377.

Bède le Vénérable, IV, 28.

378.

André Dierkens, 1985, p. 288. d’apr. Vita Landelini.

379.

Vitae Patrum 13.

380.

Vie des Pères de Jura, I, 7. cf. ouvrage op.cit, p. 247.

381.

Codex Sangalli 621 : 355 ; MGH, Poet lat.4 : 336. Alfons ZETTLER, 1996, p. 70.

382.

Vita, 17, Migne, CXXXVII, 683. Lesne, op.cit, T. VI, p. 46.

383.

Émile Lesne, 1943, p. 46.

384.

Alfons Zettler 1996, op.cit, p. 68

385.

Si certaines sources ont actuellement un faible débit, il faut être prudent à ne pas généraliser une caractéristique qui pourrait être liée à la surexploitation de certaines ressources. Aujourd’hui, l’île de Reichenau est couverte de cultures maraîchères intensives particulièrement voraces en eau. Certes, l’île du lac de Constance ne dispose pas de terrains ayant de grandes qualités aquifères. L’érosion due à l’eau est cependant perceptible. Il existe en particulier un grand talweg drainé directement à l’est du monastère de Reichenau-Mittelzell.