d. L’eau des bains

Les textes normatifs apparaissent restrictifs en ce qui concerne le bain du religieux. Les moines se méfient d’une eau ambiguë qui peut réveiller la sensualité du corps. Dans la règle bénédictine, l’usage du bain est réglementé dans le chapitre 36. Le bain est accordé aux malades quand cela est nécessaire. En revanche, il est concédé plus rarement aux frères bien portants et particulièrement aux jeunes406. Dans la règle de Saint-Augustin, on observe une défiance similaire vis-à-vis de la pratique du bain. Cependant, il semble qu’il y ait eu au cours du haut Moyen Âge un glissement vers un usage plus courant du balnéaire monastique. Le plan de Saint-Gall fait allusion à un bâtiment contenant la lavanderie et les bains des moines. Les pièces portent la mention de « balneatorium et lavandi locus ». L’accès se fait par un couloir depuis la salle chauffée située au rez-de-chaussée de l’aile du dortoir. Trois autres lieux pour les bains sont situés dans l’infirmerie, le noviciat (balneatorium) et la maison de l’abbé (fig. 54). La présence de plusieurs installations réservées exclusivement à l’abbé, aux moines, aux novices et aux malades pourrait indiquer qu’au IXe siècle, l’usage du bain était commun dans le monde monastique. Le Concile d’Aix-la-Chapelle indique le rapport délicat que les bénédictins entretiennent avec l’eau du bain. Il apparaît qu’au début du IXe siècle, les coutumes relatives à la grande toilette s’étaient éloignées du précepte d’origine. Dans les statuts de Murbach dont il est l’auteur, Heito, l’instigateur du plan de Saint-Gall, semble avoir respecté pour cette question l’esprit de la règle de saint Benoît407. L’usage du bain était laissé à la discrétion du prieur. Le moine Hildemar considérait que deux bains par an suffisent et milite contre l’introduction par certains abbés d’un troisième bain au début de la Pentecôte. Mais, il suggère que les moines travaillant durement la journée puissent se laver plus fréquemment et uniquement dans une cuve individuelle408. Les coutumes de Fulda autorisent un bain jusqu’à cinq fois par an pendant les périodes de Pâques, de Pentecôte, de la Toussaint, de Noël et pour la fête du patron du lieu. Dans tous les cas de figue, le moine ne se lave pas régulièrement, mais se prodigue une sorte de purification au moment des grands événements du calendrier liturgique. Durant les préliminaires du premier synode, tout un mouvement dirigé par Benoît d’Aniane visait à retrouver les exigences de la règle bénédictine. Le capitulare monasticum rédigé en 817 après les deux synodes d’Aix-la-Chapelle prévoit la possibilité pour les religieux de prendre un bain. Cependant, le balnéaire est strictement réglementé. Il n’apparaît pas moins que la possibilité de prendre un bain dans les monastères bénédictins réformés reflète l’influence des milieux modérateurs au moment des réunions d’Aix-la-Chapelle. Il a finalement été admis que les moines pouvaient prendre un bain à Noël et à Pâques, ou encore à la discrétion du prieur409.

Certains textes mentionnent des dispositifs balnéaires dans les monastères. Datés de 822, les statuts d'Adalard signalent l’existence dans le monastère de Corbie du lavandaria fratrum 410.À Saint-Denis, il existe un « balneatorium » dans le cloître411. Les données archéologiques sur les bains monastiques manquent malheureusement.

Notes
406.

Chap. 36, § 8. « Balnearum usus infirmis quotiens expedit offeratur, sanis autem et maxime iuvenibus tardius concedatur».

407.

« Uicesimo primo capitulo usus balnei interdictus omnino est excepto quibus necessitas infirmitatis insistit. Unde nos considerantes infirmorum inbicillitates usque iniyium Quadragesimae stupae balneum concedimus ; interim uero fiant cupae balneariae abunda » Statuta Marbuciana, c.21, CCM, ed Semmler, I, 1963, p. 229.

408.

Exposition Hildemari, éd. Mittermüller, 1880, p. 408. cf. The Plan of St Gall, op.cit. Vol. 1, p. 265.

409.

« Ut balneis generaliter tantume in Nativitate et in Pascha Domini ueruntamen separatim utantur.»« Ut non in quadragesiam nisi in Sabbato Sancto radantur, in alio enim tempore semel per quindecim dies radantur. » -Synodi primae decr. auth., VII, VIII, C.C.M ., T.1, 1963, p. 459. « Ut opus balnearum in arbitrio prioris consistat»-Synodi secundae decr. auth., ch 10 et 36, C.C.M., T.1, 1963, p 475 et 480. « Ut Balnearum usus in arbitrio prioris consistat. » « Ut in octabas Paschae, Regula S.Benedicti Anianensis, C.C.M., T.I, p. 528. Voir aussi : Walter HORN, Ernest BORN, 1979, op.cit., t. I, p. 265.

410.

Stat Uta Adalh, p 352 (20). Lesne, op.cit, t. VI p. 77.

411.

Tardif, 186, p. 118, diplôme du 19 sept 862. Lesne, op.cit, VI p. 77