II.3. Transformation de l’énergie hydraulique

La possibilité de transformer la puissance d’un flux d’eau en énergie mécanique est considérée comme une véritable révolution dans les domaines des sciences et techniques, de l’économie et de l’ergologie. La mise en place des premiers dispositifs permettant de remplacer toute ou en partie la force physique de l’animal ou de l’homme inaugure une nouvelle ère où la mécanique, transmise par le savoir et le savoir-faire, se trouve banalisée. Celle-ci pourrait devenir le lieu d’innovations, qui modifiant les concepts d’origine, permettrait aux outils de s’adapter au mieux aux différents contextes d’utilisation et de production. L’emploi de techniques mécanisées développe des rendements importants. Avec l’emploi des moteurs hydrauliques, l’homme entretient un nouveau rapport avec l’outil et la matière qui est transformée. L’homme n’est plus acteur direct dans la production, mais il devient le garant de celle-ci en assurant l’entretien et le bon fonctionnement de la machine.

Les machines à énergie hydraulique utilisent le même principe de transformation de l’énergie. Le flux d’eau actionne une roue en agissant sur les ailettes situées généralement sur le périmètre de celle-ci. Le mouvement sensiblement rectiligne de la masse d’eau est transformé en mouvement de rotation de la roue. À ce moteur, il faut ajouter le système de transmission de l’énergie et l’outil plus ou moins complexe qui déterminera la fonction de la machine.

Vitruve distinguait deux catégories dans les machines mues par l’eau. La première est la roue élévatrice telle que nous la connaissons sous le terme arabe de noria424. Le second type décrit par l’ingénieur romain correspond au moulin à roue verticale. Du point de vue des grands principes mécaniques, il existe bien deux types génériques de machines.

La première catégorie rassemble des machines à transmission directe. La noria appartient à ce groupe. La grande roue, munie à sa périphérie d’augets, permet de relever de l’eau jusqu’à son sommet pour alimenter un canal. L’énergie portée sur les pales est directement utilisée. Le moulin à roue horizontale doit être placé dans ce genre de machine. Dans ce cas, le mouvement de la roue hydraulique est directement apporté à la meule par l’intermédiaire d’un arbre solidaire à la fois du moteur et de l’outil. Ce type d’installation trouve un grand avantage dans le fait qu’il y a un minimum de déperdition d’énergie. En revanche, il souffre de plusieurs inconvénients. Le plus important est que la force et la vitesse de rotation dépendent directement et uniquement des capacités du moteur hydraulique. Un autre problème est que la roue émettrice du mouvement et l’outil tournent dans le même sens, à la même vitesse angulaire et dans des plans parallèles. Cela limite les possibilités de construction et d’utilisation.

Le second type de machine est plus complexe car il met en jeu un système de transmission entre le moteur et l’outil. Cette solution a de multiples avantages. Elle autorise une grande souplesse de construction ou d’utilisation en permettant des modifications d’orientation du mouvement, voire des changements de type de mouvement. Le moulin à roue verticale transforme une rotation selon un axe horizontal en une rotation selon un axe vertical. Dans d’autres machines, la rotation de la roue est transformée en mouvement rectiligne, généralement alternatif. Par ces nouvelles possibilités, le moteur hydraulique peut être associé à de nombreux types d’outils, à des meules bien sûr, mais aussi à des pilons, des martinets, des chaînes à godets, des pompes hydrauliques, etc. L’énergie est fournie par une roue verticale. Le choix de cette solution est justifié car la technique permet de développer des roues de grands diamètres et de largeur importante. Le résultat est une augmentation très sensible de la puissance. La stabilité du moteur est par ailleurs facilitée car le poids de la roue, les vibrations et les poussées produites à la fois par le flux d’eau et la rotation se trouvent facilement absorbés par les supports situés de chaque côté de la roue.

La différenciation entre les machines hydrauliques peut aussi s'établir en fonction des outils qui se trouvent à l’extrémité de la chaîne cinétique. Parmi les fonctions auxquelles la roue hydraulique pouvait être destinée, il faut s’attacher plus particulièrement à la mouture des céréales. L’intérêt pour le moulin à farine est d’autant plus important qu’il a été considéré par les historiens comme un indicateur économique, social et technique. Depuis quelques années, la question de l’équipement en moulin dans l’Antiquité et dans le haut Moyen Âge a été reposée à la lumière d’une relecture des textes et avec l’apport de nouvelles découvertes archéologiques. Dans ce domaine des sciences et techniques, un des problèmes essentiels est de savoir s’il y a eu rupture ou continuité technologique entre l’Antiquité et le Moyen Âge. Le moulin hydraulique apparaît par ailleurs comme un terrain où les savoirs et les savoir-faire des charpentiers et des techniciens de l’eau ont pu totalement s’exprimer. La machine à moudre est un lieu privilégié d’innovations.

Notes
424.

Vitruve, X, 5.