III. Hydraulique monastique : le cas de Cluny

L’utilisation des techniques hydrauliques dans la période située entre le Xe siècle et le XIIe siècle est très mal connue. L’état des études sur ce sujet est édifiant. Lors du colloque de Royaumont de 1992, pas une communication ne portait explicitement sur la période considérée631. En 1996, au moment du colloque de Dijon, le thème était resté très minoritaire632. Plus récemment, le colloque qui s’est déroulé à Lyon en octobre 2003 laissait peu de place à ces questions pour la période considérée633. Les difficultés d’approche, comme a pu le définir Paul Benoit634, expliquent vraisemblablement le manque d’intérêt pour cette période pourtant cruciale du Moyen Âge. Les sources textuelles restent maigres pour le domaine d’étude. Pourtant, ces âges obscurs voient se dérouler de très importantes mutations des conditions sociales et économiques. Cluny est justement fondée au moment où se met en place un monde qui prend ses distances avec les périodes précédentes. L’abbaye prendra une part importante dans la structuration d’une société basée sur de nouveaux rapports entre les hommes. Didier Mehu a pu argumenter sur l’implication des moines noirs dans le monde et sur la spécificité de la domination clunisienne sur les territoires dépendant du monastère635.

Le pouvoir clunisien sur le bassin de la Grosne s’exerce selon une hiérarchisation de différents espaces dont le centre est l’abbaye. Les différents territoires immunitaires nous sont connus à partir de la fin du XIe siècle. Les travaux de Barbara Rosenwein636 puis de Didier Mehu637 ont notamment clarifié les questions relatives aux fonctions et aux délimitations des différents territoires de l’abbaye de Cluny. La domination clunisienne s’établit selon quatre cercles qui s’emboîtent (fig. 86). Le plus intime correspond au territoire de pureté défini par Pierre d’Albano en 1080. Le second correspond au ban sacré énoncé par le pape Urbain II en 1095. La zone sans péage correspond à une circonvolution plus lâche émise par le pape Pascal II en 1107. Dans le dernier cercle est établi un territoire sans château. La mise en place de cette zone dont les limites sont Ajoux, au sud, Charolles et Mont-Saint-Vincent, à l’ouest, Chalon au nord et Mâcon à l’est intervient très tôt avec un précepte de Robert le Pieux qui fait suite au concile d’Anse réuni vers 994.

C’est dans le centre de ces différents cercles que va se développer le monastère, la ville et l’organisation du paysage tel que nous pouvons encore sensiblement les apprécier. Les installations hydrauliques du monastère ont été établies dans ces contextes. Les aménagements hydrauliques ont besoin d’espaces pacifiés et maîtrisés par les moines. Les travaux des religieux réalisés pendant le Moyen Âge vont aboutir à un réseau de canaux, de biefs et d’égouts dont la longueur cumulée se compte en kilomètres. Le paysage actuel conserve encore, au droit de Cluny, mais aussi à l’extérieur de la ville, d’importants aménagements hydrauliques comme des chaussées d’étangs. Tous ces ouvrages ont bien sûr été établis, puis petit à petit modifiés, tout au long de l’histoire du monastère, du bourg abbatial et plus généralement de la vallée de la Grosne. Un important travail de chronologie est à mettre en place pour essayer de cerner des systèmes hydrauliques qui au prime abord apparaissent bien complexes. Le développement des installations pourrait avoir profité d’un lieu d’implantation très favorable à l’utilisation des techniques de l’eau. De fait, la très bonne adéquation du site avec les besoins des moines pose naturellement la question du choix de l’implantation.

Notes
631.

Hydraulique monastique : Milieux, Réseaux, Usages… 1996.

632.

L’innovation technique au Moyen Âge… 1998.

633.

Water Management in Medieval Rural Economy…2003.

634.

Paul Benoit, 1996, p. 476-478.

635.

Didier Mehu, 2001, p. 519-526

636.

Barbara Rosenwein, « Cluny’s immunities », p. 144.

637.

Didier Mehu, 2001, p. 133-193