L’abbatiat d’Aymard, successeur Odon, a laissé peu de traces dans l’historiographie clunisienne. Le fort courant de donations se poursuit. Entre 942 et 948, l’abbé de Cluny bénéficie de plus de 270 donations qui font suite à des rapprochements avec l’aristocratie locale, dans le Mâconnais, le Charollais et la Bresse. Il reçoit aussi plusieurs paroisses dans le Mâconnais. C’est, semble-t-il, sous son abbatiat que Sauxillanges se peuple de moines. En 954, la bulle du pape Agapet II, en rappelant les privilèges de Cluny, fait la liste des biens, couvents, églises, chapelles qui appartiennent au monastère645. Selon Agapet, l’immunité est un attribut nécessaire à l’Ordo Monasticus et le statut légitime de tous lieux saints. Le pouvoir des moines sur les hommes est proclamé par plusieurs diplômes royaux.
Entre 948 et 954, devenant aveugle, Aymard confie, avec l’assentiment de la communauté, la charge d’abbé à Mayeul. Le nouvel abbé est issu d’une famille aristocratique provençale fortement possessionnée dans la région située entre Arles et Fréjus ainsi que sur les plateaux subalpins de haute Provence. Après avoir étudié aux écoles de Lyon, il devient chanoine puis archidiacre de la cathédrale Saint-Vincent de Mâcon. Il refuse le siège archiépiscopal de Besançon. Peu après 940, on le retrouve convers à Cluny. Avec Mayeul, Cluny prend un nouvel essor. L’abbé devient le conseiller des empereurs et des rois, il apparaît l’arbitre de la chrétienté. Il profite en cela d’une bonne connaissance des milieux de la haute aristocratie et de conjonctures politiques favorables. Il bénéficie en particulier de la volonté du roi de Bourgogne Conrad le Pacifique de trouver des relations cordiales avec les Provençaux mis à mal par les précédentes entreprises bourguignonnes. Conrad permet par ailleurs à Mayeul de faire la connaissance d’Adélaïde, sœur du roi et épouse de l’empereur germanique Otton le Grand. Son activité est inlassable. Il fait de nombreux voyages en Italie, en Provence. Il contrôle et visite régulièrement les maisons réformées. Il s’agit toujours de développer les usages clunisiens dans le plus grand nombre de monastères, mais, Mayeul cherche, contrairement à ces prédécesseurs, à établir des rapports de dépendance. Lorsqu’il reçoit un monastère pour y restaurer la discipline, il fait souvent préciser que la donation est tout entière affectée à Cluny. Quand il s’agit de fondation, Mayeul installe des prieurs à la tête de la communauté. Saint-Pierre-de-Pavie, Valensole et Souvigny deviennent des prieurés. Il continue cependant une œuvre de réforme sur des abbayes comme Saint-Germain-d’Auxerre, à l’abbaye royale de Marmoutier, à Saint-Maur-des-Fossés, à Flavigny ou à Saint-Pierre-le-Vif. En 990, il envoie un moine de Cluny, Guillaume de Volpiano restaurer la discipline à l’abbaye de Saint-Bénigne de Dijon. Mayeul cherche aussi à codifier les usages.
C’est sous son abbatiat que se réalisent les travaux de la deuxième église abbatiale. L’abbatiale est consacrée le 14 février 981 par l’archevêque de Bourges, Hugues. À l’occasion de la dédicace, les reliques des apôtres Pierre et Paul, provenant de Saint-Paul-hors-les-Murs, seraient déposées dans l’autel principal646. Bien que nous ne connaissions pas véritablement l’état du bâtiment de Mayeul, il correspond à un projet ambitieux propre à refléter l’image de ce qu’est devenu Cluny. Il remplace vraisemblablement une abbatiale plus modeste qui n’a pas encore été révélée par les fouilles archéologiques647.
À la mort de Mayeul, en 994, l’influence de Cluny s’étend sur la Bourgogne jurane, la Provence, le Mâconnais, le Bourbonnais et les marges orientales de l’Auvergne. Elle s’oriente aussi vers l’Italie avec les implantations de Pavie. Le réseau des monastères de Mayeul reste cependant informel et est lié à la personne de l’abbé. Localement, à la suite de nouvelles donations et, chose nouvelle, à une aliénation planifiée de certains biens, Cluny dispose d’un temporel important. La fondation de Bernon devient un important sanctuaire autour duquel s’organisent un bourg, une villa et une seigneurie648. Le succès de Mayeul est si important qu’il sera canonisé peu temps après sa mort. Dès 999, Sainte-Marie de Pavie devient le monastère Saint-Mayeul.
Didier Mehu, 2001, p. 70-73
L’événement de la translation des reliques des deux apôtres est tiré d’une lettre d’Hugues de Gournay à l’abbé Pons de Melgueuil. Le document est tardif. La première mention assurée des reliques se trouve dans le Liber Tramitis.
Réalisées en 1994, les fouilles du bras sud du transept de l’église abbatiale ont permis d’infirmer l’hypothèse de Kenneth John Conant selon laquelle les vestiges de la première église, consacrée en 927, se trouveraient directement au nord de la seconde église construite par l’abbé Mayeul.
Dominique Iogna-Prat. Ordonner et exclure p. 36