Odilon entre à Cluny en 990. Le personnage serait issu d’une illustre famille d’Auvergne649. Il est élu abbé en 994. Coadjuteur auprès de Mayeul dans les années 992-993, il est préparé à cette charge. Le nouvel abbé profite d’une longévité très longue de 55 ans. En 994, le concile d’Anse permet au jeune abbé de réaffirmer ses prérogatives sur les territoires dominés par Cluny650. Dès le début, il cherche à s’associer le pouvoir de l’empereur germanique et celui du pape. Les événements entraînent Odilon à renforcer les alliances. Certains monastères essayent de s’émanciper de l’emprise de Cluny. C’est le cas de Saint-Maur-des-Fossés. À Cluny même, Odilon rencontre une opposition et doit réagir. Les protecteurs laïques des monastères cherchent à distendre les liens qui les unissent à l’abbaye bourguignonne, cela afin de récupérer les biens matériels à leurs profits. Ce risque de désagrégation s’établit dans un contexte politique instable et violent. Grâce à l’appui de l’empereur Otton III, l’abbé de Cluny obtient en 998 une nouvelle charte de protection du pape Grégoire V651. Précédemment lors du concile d’Anse (994), le souverain pontife avait donné aux moines de Cluny le privilège de se faire conférer les ordres par l’évêque de leur choix. Par ce document, Cluny s’émancipe du pouvoir de l’évêque. Aucun diocésain ne pourra pénétrer dans l’abbaye ou un monastère dépendant pour instituer l’abbé et les prêtres sans le consentement d’Odilon. Ces privilèges atteignent directement l’autorité du diocésain, en particulier l’évêque de Mâcon. À partir de la fin du Xe siècle, les relations de Cluny avec Mâcon vont se dégrader.
En 1024, Jean XIX étend l’exemption à tous les frères ubicumque positi à Cluny ou dans l’une de ses dépendances. La bulle consacre la naissance de l’Ecclesia Cluniacensis comme réseau ecclésiastique centré autour du sanctuaire bourguignon.
Les écrits sur l’hagiographie abbatiale, puis la formation des cartulaires qui sera poursuivie par Hugues de Semur participent à la mise en place de l’apologétique clunisienne.
Sous l’abbatiat d’Odilon, la congrégation s’étend considérablement. Cluny a une implantation régionale sur la Bourgogne, l’Auvergne, la Provence et en Italie. La création de couvents autour de Cluny permet de resserrer le réseau local. Beaumont-sur-Grosne652 au sud de Chalon-sur-Saône et Luzy653 dans le Morvan sont créés avant 998. Des couvents importants rejoignent le giron clunisien. Paray-le-Monial654, fondé en 973, et Saint-Marcel655 sont cédés en 999. En 1017, C’est le tour de Saint-Cosme-et-Saint-Damien656, près de Chalon-sur-Saône. L’abbaye de Nantua657 passe aussi dans les mains de Cluny. Dans le royaume de Bourgogne, Saint-Victor de Genève658 et Bevaix659 sont fondés. En Provence, des installations apparaissent à Saint-Pantaléon660, Ganagobie661 ou Piolenc662. Cluny se développe fortement en Auvergne. Souvigny installe des moines dans de nombreuses maisons663. Sauxillanges se développe d’une manière similaire. Des couvents sont fondés ou donnés à Cluny : Ambierle, avant 999, Bort et Thiers. Plus à l’ouest, en Aquitaine, l’abbaye de Saint-Jean-d’Angély664 est restaurée. L’extension des clunisiens s’établit aussi dans les pays germaniques, avec notamment l’introduction des coutumes à Murbach et la fondation d’Abdinghof665, en Italie avec en particulier la restauration de l’abbaye impériale de Farfa. Odilon intervient aussi en Espagne. Sous son abbatiat débute une période de structuration de l’Ecclesia Cluniacensis conçu comme un établissement unifié autour de Cluny et de son abbé.
Dès la fin du Xe siècle, Cluny dispose d’un patrimoine foncier important situé dans un rayon de cinq à six lieues autour du monastère666. L’abbaye se dote aussi de coutumes. Les consuetudines antiquiores 667 sont les premières connues et auraient été composées à la fin de l’abbatiat de Mayeul, plus vraisemblablement au début de celui d’Odilon668. Elles restent exclusivement consacrées à la vie liturgique du monastère. Un coutumier plus récent règle aussi la vie quotidienne du moine clunisien. Il a été publié en 1980 sous le nom de Liber Tramitis aeui Odilonis 669. Le coutumier adapte au quotidien du moine clunisien la règle de saint Benoît selon les préceptes de Benoît d’Aniane. Il a été, semble-t-il, composé de trois étapes. Les deux premières phases sont clunisiennes, entre 1027 et 1030, puis en 1033. Entre 1050 et 1060, le texte est copié à l’abbaye de Farfa en Sabine. Dans le monde de l’archéologie clunisienne, le document est particulièrement connu pour la description du monastère de Cluny670. Dans l’énumération des bâtiments, il est fait mention à plusieurs reprises de constructions pouvant comporter des dispositifs hydrauliques.
C’est sous Odilon qu’est mis en place le culte des défunts. Odilon institue la commémoration de tous les défunts fêtée le 2 novembre. Les clunisiens apparaissent comme les meilleurs intercesseurs par leurs prières.
Jotsaud, le biographe d’Odilon, met notamment en relief le rôle de constructeur de l’abbé. Le moine de Souvigny souligne en particulier qu’Odilon avait trouvé à Cluny un cloître de bois et qu’il en a fait un cloître de marbre671. Pour la construction du nouveau cloître, des colonnes antiques sont récupérées de la Provence et transportées notamment par voies fluviales, sur la Durance, avant d’être utilisées à Cluny. Le Liber Tramitis Odilonis fait la description du monastère de Cluny où le bois ne semble pas très utilisé sinon pour le bâtiment des latrines. En dehors de Cluny, Jotsaud nous fait part de l’activité de l’abbé dans douze monastères672. Dom Jacques Hourlier complète cette liste avec les monastères de Bevaix et de Mougon673. L’érudit ajoute par ailleurs une liste de sites ayant été l’objet de constructions importantes ou de transformation674. Outre des monastères, l’abbé aurait construit de nombreuses églises675. L’archéologie clunisienne nous donne les moyens d’entrevoir que la première moitié du XIe siècle a été un moment intense dans la construction. Ainsi, les premières églises de Souvigny676 et de Paray-le-Monial677 ont été édifiées sous l’abbatiat d’Odilon678.
Odilon meurt le 31 décembre 1048 à l’âge de quatre-vingt-six ans. Il est enterré à Souvigny près de son prédécesseur Mayeul.
Christian Lauranson-Rosaz, 2007, p. 130-131 et p. 159-161.
Didier Mehu, 2001, p. 76.
Didier Mehu, 2001, p. 81-82
Province clunisienne de Lyon - Diocèse de Chalon-sur-Saône. Acquisition des mains des vicomtes d'Auvergne en 980 (CLU 2711, 1525) - dépendance de Cluny en 998-99 (Guy de Valous, 1935) - Doyenné en 1085 (CLU 3607) (cf. Déléage, 1942, p. 429).
Diocèse d'Autun. Mentionné parmi les possessions de Cluny en 998-999 - uni en 1275 au prieuré de Semelay - 1350, 1386 : 1 moine et 1 prieur (Guy de Valous, 1935)
Province clunisienne de Lyon - Diocèse d'Autun. Fondé par Lambert comte de Chalon. Donné à Cluny en 999 par Hugues, héritier du comte de Chalon, évêque d'Auxerre (Charvin, C.G.). - Réuni à Cluny en 1344.
Province clunisienne de Lyon - Diocèse de Chalon-sur-Saône. 25 moines. Monastère donné par Hugues, comte de Chalon et évêque d’Auxerre en 999. Locus auparavant confié à Mayeul pour la discipline. CLU 2 484 (Charvin, C.G.).
Petite abbaye près des murs de Chalon donnée en 1017 par Hugues de Chalon, confirmée à Cluny par le roi Robert en 1020 (cf. COUSIN, 1949)
Monastère fondé par saint Amand au VIIe siècle. Province clunisienne de Lyon - Diocèse de Lyon (Charvin, C.G.).
Donation à Odilon par l'impératrice Adélaïde en 999
Province clunisienne d'Allemagne - Diocèse de Lausanne. (Charvin, C.G.) Sur la rive occidentale du lac de Neuchâtel. Monastère remis à l’abbé de Cluny le 20 avril 998 (CLU 2 453). Fondé par le roi Rodolphe III de Bourgogne en faveur de Cluny en 1005.
Province clunisienne de Provence - Diocèse Saint-Paul-Trois-Château. Cité dans la bulle de Grégoire V en 998. Qualifié de petit monastère en 999 et compté en 1055 parmi les grands. (Charvin, C.G.)
Notre-Dame-et-Saint-Jean-Baptiste : Province clunisienne de Provence - Diocèse de Sisteron. Appartient à Cluny avant 998-999.
Saint-Jean-Baptiste-saint-Pierre - Province clunisienne de Provence - Diocèse d'Orange. Château donné à Cluny par le comte Rotbod, comte de Provence, vers 995-1000 (cf. COUSIN, 1949). Uni à Saint Martial d'Avignon en 1379.
Province clunisienne d'Auvergne - Diocèse de Clermont ou d'Autun - Entre 915 et 920, le premier sire de Bourbon, familier de Guillaume, donne la villa de Souvigny afin d’y installer des moines.
Province clunisienne de Poitou - Saintonge - Diocèse de Saintes.
SS. Pierre et Paul - Fondée en 1016 dans un faubourg de Paderborn en Westphalie par son évêque Meinwerc qui accompagnait l'Empereur lors de sa visite à Cluny en 1015. Consécration de l'abbatiale en 1031.
Georges Duby, 1952, p. 155-171.
Dom Kassius Hallinger, Consuetudines Cluniacensium Antiquiores cum rédactionibus derivatis, C.C.M., VII/2
DOMINIQUE Iogna-Prat, Ordonner et exclure, p. 68
Liber Tramitis aeui Odilonis abbatis, Corpus Consuetudinum Monasticarum, éd. P.Dinter, T. X, 1980, Siegburg.
Idem, XVII. De descriptione Cluniacensis monasterii, p. 203-206. Le texte a servi de base à différentes reconstitutions du monastère. Rose Graham - Sir Alfred Clapham, Talobre, Kenneth John Conant. Si ces extrapolations restent théoriques, il n’en demeure pas moins que les informations sont suffisamment précises pour s’intégrer dans une argumentation sur les bâtiments monastiques à la fin de l’abbatiat d’Odilon. Voir Christian Sapin, Anne Baud. Gilles Rollier, Carol Heitz, Neil Stratford.
« Et praeter haec interiora, fuerunt in eo [Odilone] extrisecus gloriosa studia in aedificiis locorum sanctorum construendis, renovandis, et ornementis undecumque adquirendis. Demonstrat hoc cluniacus, suus principalis locus, i cunctis suis aedificiis interius et exterius, praeter parietes ecclesiae, ab ipso studiose renovatus et ornmentis multipliciter adornatus ; ubi etiam in novissimi suis claustrum construxit columnis marmoreis, ex ultimis partibus illius provinciae, ac per rapidissimos Durentiae Rhodanique cursus non sien magno labore advectis, mirabiliter decoratum. De quo solitus erat gloriari, ut jocundi erat habitus, « invenisse se ligneum et relinquere marmoreum », ad exemplum Octaviani Caesaris, quem describunt historiae Romam invenisse latericiam et reliquisse marmoream ». Cf. Victor Mortet, 1911-1995, p. 128, d’apr. Vita Sancti Odilonis, auct. Jotsaldo… Au-delà de l’ambition constructrice de l’abbé, Jotsaud ne marque t-il pas par ce passage la transformantion des institutions monastiques qui s’opère sous Odilon ?
Payerne, Romainmôtier, Saint-Victor de Genève, Charlieu, Ambierle, ris, Sauxillanges, Souvigny, La Ferté, Saint-Saturnin-du-Port, Saint-Mayeul-de-Pavie et La Vôute-Chilhac.
Dom Jacques HOURLIER, 1961, n° 206, p. 312. Voir aussi du même auteur, 1964, p. 170.
Idem., Chandieu, Saint-Flour, Domène, Saint-Pantaléon, Saint-Cosme-et-Saint-Damien, Pont-du-château, Saint-Révérien, Saint-Marcel-les-Sauzet, Donzy-le-Pré, Bourg, Port-sur-saône, Relanges,…
…et praeter haec diversarum ecclesiarum multiplex numerus…
Éliane Vergnolle, 1998, p. 399-431.
Gilles Rollier, 2000. p. 55-63.
Christian Sapin, « Le nouveau plan de Paray-le-Monial et l’architecture du XIe siècle en Bourgogne », Paray-le-Monial, Brionnais - Charollais, Le renouveau des études romanes, Actes du deuxième colloque international de Paray-le-Monial, Amis de la basilique de Paray-le-Monial, 2000, p. 87.