III.1.6. Pons de Melgueuil

Hugues de Semur meurt en 1109. Les moines élisent alors comme abbé, Pons de Melgueuil. Le nouveau chef de Cluny était originaire d’une famille du Languedoc apparentée aux comtes d’Auvergne et aux comtes de Toulouse. Dans un premier temps, Pons apparaît comme un bon administrateur. Sous son abbatiat, Cluny profite encore de l’élan précédent. De nombreuses maisons vont être fondées par les grands prieurés, comme la Charité-sur-Loire, Saint-Martin-des-Champs ou Lewes, servant de relais à l’abbaye-mère.

L’exemption est plusieurs fois renouvelée. En 1109, Pascal II concède aussi à Pons puis à tous les futurs abbés de Cluny le droit de porter certains ornements épiscopaux. Le pape reconnaît à l’abbé le droit de bénir le saint Chrême, mais, après protestation de l’évêque de Mâcon, revient sur sa décision.

Dès la fin de l’abbatiat d’Hugues de Semur et pendant la première moitié du XIIe siècle, plusieurs crises secouent le monde clunisien. Elles sont liées en grande partie à une mutation de l’ensemble de la chrétienté. Mais, elles peuvent être aussi associées à une fragilisation structurelle d’un édifice monastique qui a été, sous Hugues de Semur, en très forte expansion.

La querelle des investitures reprend alors que Pons de Melgueuil est à la tête de Cluny. Elle se traduit par une rupture entre le sarcedotium et le regnum. Mais, pour la première fois, la papauté ne s’appuie plus exclusivement sur Cluny pour le règlement de cette crise.

Liés peut-être aux énormes frais de construction et à une inadéquation de la structure économique de Cluny, des problèmes financiers se font jour. Contrainte, Cluny passe d’une économie foncière à une économie monétaire. Ces difficultés apparaissent retomber directement sur la construction. Dans le courant du XIIe siècle, Cluny peine à terminer le chantier de la grande abbatiale689. Le chantier de la priorale de Paray-le-Monial semble lui aussi avoir amplement souffert de cette situation690.

La première moitié du XIIe siècle correspond aussi à une modification de la perception de l’idéal monastique. Cluny perd son rôle réformateur à l’avantage de congrégations nouvelles défendant la pauvreté évangélique. La fin du XIe siècle voit l’émergence des mouvements chartreux, cistercien et de chanoines réguliers comme les Prémontrés. Les cisterciens, fondamentalement bénédictins, apparaissent, sous la clairvoyance de Bernard de Clairvaux, comme des concurrents directs de Cluny.

En 1122, Pons de Melgueuil est obligé de quitter Cluny à la suite de conflits internes. Une partie des moines de Cluny reproche entre autres à leur abbé une mauvaise gestion des dépenses risquant de ruiner l’abbaye. Il se rend alors auprès du pape Calixte II. Dans un contexte mal connu, il se trouve obligé de quitter la charge d’abbé de Cluny.

Après le passage éphémère d’Hugues II, un nouvel abbé est élu en la personne de Pierre de Montboissier. Mais, pendant quatre ans, la communauté est soumise à de très sérieuses tensions.

Pierre-le-Vénérable est considéré dans l’histoire clunisienne comme le dernier des grands abbés. Contrairement à ses prédécesseurs, il est relativement bien connu. Les informations permettant de circonscrire sa personne proviennent de contemporains et de ses nombreuses lettres. C’est un homme de dialogue, doué de charité et de tolérance. Il est connu par ses écrits sur le plan doctrinal, œuvrant contre les hérétiques pétrobrusiens (contra Petrobrusianos), le Judaïsme (Aduersus Judaeos) ou l’Islam (contra sectam Sarracenorum). Dans le De Miraculis, l’abbé Pierre s’attache à décrire Cluny comme une église universelle.

Dans un contexte moins favorable à Cluny, sa tâche n’est pas facile. Il est à l’écoute attentive de la vie des moines. Il lui faut rétablir la paix dans la communauté clunisienne. Certains prieurés réclament leur autonomie. En 1132, Pierre rassemble à Cluny 1200 religieux pour réfléchir sur un plan de réforme. En 1146, à la suite de ce premier chapitre général, il promulgue des statuts qui imposent un retour à la règle, un respect de la liturgie, un contrôle des entrées dans le monastère, le silence et le jeûne. Cependant, les mesures prises ne sont pas une ouverture vers le nouveau monachisme. Elles n’ont pour fin que de restaurer les anciennes coutumes clunisiennes en supprimant certains écarts. Pour assurer une meilleure assise de la réforme, Pierre le vénérable s’emploie à visiter ou à faire visiter les différents couvents.

Pierre reçoit encore le soutien de la papauté. Celle-ci renforce l’interdiction d’émancipation des prieurés. En 1144, Lucius II renouvelle l’exemption. Il donne à l’abbé le droit de corriger les moines qui n’observeraient pas les coutumes.

Le mouvement de réforme et de fondations se poursuit, mais il est ralenti. Il s’agit généralement de l’action des gros prieurés. Des abbayes sont réformées en Lorraine et Champagne, en Espagne et aux Portugal.

Pierre intervient pour rétablir l’économie de Cluny notamment en réorganisant les doyennés et en enjoignant de revenir à une économie de faire-valoir direct. Il cherche à développer les convers, moins coûteux que la main-d’œuvre laïque ou les tenanciers. Il tente de rétablir l’équilibre financier en affectant un type de recette à un type de dépense.

C’est aussi un constructeur qui terminera la nef et la façade de l’église, et peut-être les premières travées de l’avant-nef. Il agrandit le dortoir et développe considérablement le secteur de l’infirmerie.

Notes
689.

L’avant-nef de Cluny présente plusieurs arrêts de chantier.

690.

Gilles Rollier, « L’archéologie à Paray-le-Monial, l’église romane de fond en comble », medieval-europe-paris-2007.univ-paris1.fr/G.%20Rollier.pdf.