À lire encore les ouvrages récents de vulgarisation sur l’abbaye de Cluny691, les conditions de la naissance du monastère apparaissent définies. Le schéma historique est clair et met en jeu des personnages bien situés dans leur époque et dans leur détermination. Mais, les éléments de cette histoire sont-ils si assurés ? Les travaux ayant abordé, de manière critique, les premiers temps du monastère sont rares. Généralement, le moment crucial de la fondation est assez rapidement abordé. Dans le contexte des études, la charte de fondation se trouve, et elle le mérite, largement commentée. Cependant, la recherche n’est pas pour autant figée. Ces dernières années, les travaux historiques se sont attachés à l’analyse des textes se rapportant à la genèse de la communauté. S’ils apportent des données nouvelles sur la fiabilité des documents et sur leur devenir dans le cadre de l’apologétique clunisienne, ils prouvent au bout du compte que nous restons ignorants des conditions qui ont contribué à l’installation puis au premier développement de la communauté bénédictine.
Dans la première partie du présent chapitre, il nous a paru nécessaire de cerner comment l’historiographie moderne a pu tisser les événements de la fondation de Cluny. Une réflexion critique de la méthodologie appliquée par le chercheur américain Kenneth John Conant nous a amenés à analyser la manière dont la perception de la naissance de l’abbaye a pu évoluer au cours du XIXe siècle puis du XXe siècle.
La connaissance des premiers temps du monastère trouve, semble-t-il, un aboutissement avec les interprétations de Kenneth John Conant. Les données concrètes et les arguments décisifs de l’archéologue de Cluny fournissent des preuves inespérées aux hypothèses émises par les historiens qui se sont précédemment intéressés aux premiers temps de l’abbaye. Ainsi, l’existence d’une villa de type gallo-romain donnée aux premiers moines par Guillaume le Pieux, duc d’Aquitaine et comte de Mâcon, prend corps dans les vestiges mis au jour dans le sol du cloître de l’abbaye bourguignonne.
À aucun moment, l’archéologue américain ne montre de regard critique vis-à-vis d’une histoire qui lui apparaît a priori clarifiée. Par ailleurs, l’identification des maçonneries de la première villa s’établit dans le cadre strict d’un processus d’évolution du monastère qui pourrait être déjà en grande partie défini au moment de l’ouverture des fouilles à Cluny692.
Cette histoire sans heurts, aux tonalités mythiques, ne résiste pas nécessairement à l’analyse des conditions de son élaboration.
Dominique Vingtaing, 1998.
Relations à établir entre les premières publications de Kenneth John Conant et celles de Rose Graham et des Talobre (1929-1930-1935)