Dans le corpus des textes portant l’apologétique clunisienne des XIe et XIIe siècles, il n’est pas aisé de connaître le moine Bernon. Les écrits restent étonnamment discrets sur son rôle. L’abbé n’est pas honoré comme saint dans le monastère. Dans les nécrologes, son nom figure simplement à la date de sa dépositio le 13 janvier. Dans la Vita sancti Maioli, 749 l’abbé Odilon signale cependant Bernon comme le rénovateur de l’idéal bénédictin mais, malheureusement pour nous, rien ne transparaît sur la personnalité du premier abbé. Les rares informations sur Bernon sont données par trois documents déjà cités : le testament de Bernon et les Vitae d’Odon et d’Hugues d‘Anzy-le-Duc.
Malgré les difficultés à lever le voile dressé par les historiographes clunisiens, les historiens ont tenté d’identifier le personnage.
Né vraisemblablement dans les années 850-860, Bernon pourrait être issu d’une famille noble de Bourgogne jurane. D’après Sigebert de Gembloux, Bernon appartenait à une famille comtale de la région de Besançon750. Mabillon envisage que Bernon soit le fils du comte Audon, beau-frère du roi Louis le Bègue, possesseur de domaines voisins de l’abbaye de Gigny. L’abbé Maurice Chaume751 entrevoit de manière très prudente le statut de ses parents, ses cousins Guy et Laifin, en faisant un rapprochement avec des personnages homonymes. Le comte Guy, participe au plaid de varennes, et le seigneur Laifinus, fils d’Odilon et frère d’Eldevertus, occupent vers 950 un rang élevé parmi la noblesse du pays de Mâcon. Pourtant, rien sur la parenté de l’abbé de Baume n’est assuré. Les mêmes doutes concernent son passage à l’abbaye de Saint-Martin d’Autun. Sa formation dans le monastère autunois qui, d’après la tradition, serait réformé vers 870 par l’abbaye de Saint-Savin752, n’est attestée que dans la vie d’Hugues. Dominique Iogna-Prat signale bien que le monastère éduen assure dans le cadre de l’idéologie clunisienne un relais local rattachant directement Cluny à l’idéal réformateur de Benoît d’Aniane753.
En 888, Bernon fonde le monastère de Gigny sur des terres familiales. En 890, un acte de la chancellerie de Louis, roi de Provence, confirme Bernon, abbé de Gigny, dans la possession la cella de Baume754 précédemment concédée par le roi de la Bourgogne jurane, Rodolphe Ier. En 894, il obtient du pape Formose la liberté d’élection abbatiale. En 903, Rodolphe 1er donne à Gigny la cellula de Saint-Lothain et deux villas, les domaines de Chavannes et de Chemenuy. Le document confirme de nouveau l’abbaye jurassienne dans sa possession de Baume.
À travers la vie d’Odon du moine Jean de Salerne, Bernon apparaît comme un réformateur, fidèle à l’idéal bénédictin et aux enseignements de Benoît d’Aniane. On y apprend que le monastère aurait été élevé par l’abbé ce qui est possible puisque Baume passe entre 903 et 926 du statut de cella à celui de monastère. Ce changement pourrait supposer des modifications architecturales, voire topographiques sur le site des sources de la Seille. L’épisode de l’accusation d’Odon qui avait, contrairement à la coutume de Baume, accompagné une nuit un élève aux latrines sans emporter de chandelle supposerait que l’ensemble composé du dortoir et des communs du monastère était peut-être structuré selon une disposition que l’on trouve dès la troisième décennie du IXe siècle sur le plan de Saint-Gall. En effet, Odon se justifie en signalant que la lumière du dortoir suffisait à éclairer les lieux d’aisances contigus à celui-ci755.
Le texte donne quelques échos sur la personnalité du chef de la communauté. Mais, les rares informations visent plutôt à mettre en valeur les vertus d’Odon, moine de Baume remarqué par Bernon. De plus, le moine Jean marque aussi une opposition entre le bon moine, ferment pour la future terre clunisienne, et, sous les traits de Guy, l’ivraie bien implantée au pied des hautes falaises jurassiennes756. Malgré la très nette orientation du récit à faire l’éloge de la destinée de Cluny, Bernon apparaît cependant, et toujours comme un abbé juste, se conduisant dans sa communauté comme le prescrit la Règle de saint Benoît. Au bout du compte, la Vie Odon fait l’apologie d’un abbé en citant très indirectement un maître d’une trempe exceptionnelle insufflant à son disciple l’élan réformateur.
B.C., col. 280-282.
Chronicon, ad ann 895.
Maurice Chaume, Les origines du duché… t. 1, p 460, note 2.
Réformée sous Charles le Chauve. Selon le biographe Ardon Smaragde, Benoît y établit vingt moines en 822 ou 823 dont il choisit l’abbé.
Dominique Iogna-Prat, 1992, p. 173.
Première mention en 869, la cellula de Baume est concédée par Lothaire II à l’église archiépiscopale de Besançon.
B.C. col 26-27. Moyse, 1978, p. 29-30.
Jean de Salerne place Guy comme dirigeant des moines opposés à Bernon.