III.2.2.2. La vallée de Cluny : un choix de l’abbé Bernon ?

Les sources se rapportant aux origines de Cluny ne donnent pas d’indications sur les considérations qui ont prévalu au choix de la vallée de Cluny.

La vie d’Hugues présente une caractéristique remarquable. Si Guillaume est le fondateur, il ne choisit pas le site où sera mis en place le monastère de Cluny. Ce sont les deux abbés qui décident du lieu d’implantation. Le biographe de l’abbé Hugues d’Anzy-le-Duc rapporte la phrase persuasive de Bernon qui décida Guillaume d’Aquitaine à céder son domaine759. Ce n’est qu’après de longues hésitations que le donateur aurait finalement cédé ses possessions sur les bords de la Grosne.

La vie d’Hugues n’est pas le seul exemple de document qui apparaît insister sur le rôle du religieux dans le choix du site monastique. Chez les clunisiens, il est possible de citer la chronique tardive relative à la fondation de Paray-le-Monial. Le comte de Chalon Lambert fait appel à l’abbé Mayeul afin de l’aider à choisir l’emplacement de l’abbaye qui sera un peu plus tard soumise à Odilon760. Il paraît évident que l’intervention de saint Mayeul dans la fondation de Paray revêt un aspect hautement symbolique. Cluny accroît de ce fait sa légitimité sur les possessions du monastère devenu prieuré clunisien. Mais, le chroniqueur de la fin du XIe siècle ou du XIIe siècle admet implicitement que le choix d’un lieu d’établissement est une affaire de moine.

Les textes clunisiens s’intègrent dans une tradition plus générale en ce qui concerne les dispositions d’une implantation monastique. La recherche d’un lieu propice à l’installation des religieux suppose la prise en compte d’un certain nombre de critères permettant la sélection du site. L’hagiographie suggère souvent les longues hésitations des saints fondateurs avant de trouver, dans le désert, l’emplacement idéal pour un ermitage ou un monastère. Un des critères du choix est la présence d’eau, élément indispensable à la survie d’un ermite ou d’une communauté cénobite. L’existence d’une rivière pour un monastère est importante ne serait-ce que parce qu’elle permet l’apport alimentaire en poisson761. Tout en permettant l’adaptation au milieu, saint Benoît ne laisse pas le hasard s’impliquer dans le choix du site monastique. Tout doit se trouver à l’intérieur de l’enceinte, l’eau, le moulin… Le haut Moyen Âge, et plus particulièrement l’époque carolingienne, nous a laissés de nombreux exemples d’implantation en bord de rivière762.

Le cas de l’implantation du monastère de Saint-Evroult763 après le milieu du XIe siècle est intéressant. Le document met là aussi en relation le fondateur laïc et les moines. Mais, cette fois le donateur s’oppose au choix des religieux et leur propose le site de Saint-Evroult correspondant mieux aux nécessités des bénédictins. Pour convaincre les religieux et pour justifier son refus du choix proposé, Guillaume cite le chapitre de la règle de saint Benoît relatif à la mise en place d’un monastère et le besoin des moines en eau764.

Notes
759.

B.C., col 6

760.

Ulysse Chevalier, Cartularium prioratus Beatae Mariae de Paredo Monachorum, Mémoires de la Société d’histoire et d’Archéologie de Chalon-sur-Saône, Montbéliard, 1891, p. 2-3.

761.

«Carnium vero quadrupedum omnimodo ab omnibus abstineatur comestio, praeter omnino debiles aegrotos.» «Tous s’abstiendront absolument de manger de la viande de quadrupède, sauf les malades très affaiblis » Règle de saint Benoît, chap. 39. Voir aussi le chapitre 36 sur les moines malades.

762.

Cf. chap. Les implantations monastiques et les écoulements.

763.

Saint-Evroult-Notre-Dame-du-Bois dans l’Orne.

764.

Victor Mortet, Recueil de textes relatifs à l’histoire de l’architecture et à la condition des architectes en France, au Moyen-Âge XI e -XII e siècles, p. 150-151. cf. Lesne, Histoire de la propriété ecclésiastique en France, 1943, t. VI, p. 38.