III.2.2.3. Position de la villa de Cluny dans le bassin de la Grosne

a. Le domaine à l’origine

Il apparaît vain de définir ce que recouvrent géographiquement les nouvelles possessions des moines à partir des indications des documents de la fin du IXe siècle et du début du Xe siècle. Le duc d’Aquitaine donne aux apôtres Pierre et Paul la villa de Cluny avec la cour et le manse de la réserve, la chapelle en l’honneur de sainte Marie Mère de Dieu et de saint Pierre, prince des apôtres, avec tous les biens qui en dépendent, c’est-à-dire les villas, chapelles, serfs de l’un et l’autres sexe, vignes, champs, prés, forêts, plans d’eau et cours d’eau, moulins, voies d’accès et de sortie, terres cultivables et incultes, avec tout en intégralité830. Les biens donnés aux moines sont cités de manière succincte. Il ne s’agit pas d’établir un inventaire précis.

Il n’est pas non plus question de définir les limites d’un territoire. Et d’ailleurs, y a t-il des limites, sinon celles d’un système d’exploitation qui s’exerce sur la villa de Cluny et sur les autres domaines simplement mentionnés sous le terme de villis ?

La chapelle dédiée à Sainte-Marie-et-Saint-Pierre est la seule construction identifiée de la charte. Mais, comme pour le reste, la situation du bâtiment n’est pas précisée. Différentes attributions à un édifice connu dans l’histoire de Cluny ont été formulées. Le territoire de Cluny possède en effet un certain nombre de bâtiments dédiés à Sainte-Marie. Le monastère disposait en arrière de la salle du chapitre de l’église Sainte-Marie-du-cloître. Elle est citée dans les coutumiers du XIe siècle. Les vestiges archéologiques d’au moins deux états de l’église ont pu être mis en évidence par Kenneth John Conant. Située au sud du chevet de la dernière église abbatiale, dans le cimetière des moines, une petite chapelle funéraire triconque était aussi dédiée à la vierge Marie. Une autre église à Marie est construite dans le bourg de Cluny sur la rive droite du Médasson. L’hypothèse de Kenneth John Conant envisageait la réutilisation de la chapelle de la charte comme première église abbatiale, appelée Cluny A831. Mais, d’après les études récentes, rien n’est moins sûr. À la lumière d’une relecture de la documentation de fouilles, Christian Sapin envisage que les maçonneries attribuées à Cluny A puissent appartenir à une crypte établie sous le chœur de Cluny II832. Cette dernière analyse remet sérieusement en cause une hypothèse qui apparaissait d’une certaine manière rassurante car elle permettait d’ancrer les premiers édifices monastiques à l’emplacement du curtil de Guillaume. En 2006, la reprise des fouilles archéologiques sur le secteur du chevet de la deuxième église abbatiale permettra vraisemblablement de confirmer l’hypothèse émise en 1988 et 1990.

La donation comporte des plans d’eau et des cours d’eau. Mais, ce n’est pas une caractéristique propre à Cluny. Dans le cadre d’actes intéressant des possessions suffisamment vastes, l’emploi des termes aquis earumque decursibus est très commun. Ils marquent bien sûr l’existence potentielle d’eaux stagnantes et courantes, mais la locution situe surtout la passation du droit sur les eaux. Il existe des moulins dans le testament de Guillaume. Si l’expression fariniers (farinariis) reste ambiguë, il ne s’agit pas de recenser les moulins mais d’établir les moines dans un système d’exploitation précis.

Notes
830.

notum sit quod, ob amorem Dei et Salvatoris nostri Jesus Christi, res juris mei sancti apostolis Petro videlicet et Paulo de propria trado dominatione, Clugniacum scilicet villam, cum cortile et manso indominicato, et capella quae est in honore sancte Dei genitricis Mariae et sancti Petri, apostolorum principis, cum omnibus rebus ad ipsam pertinentibus, villis siquidem, capellis, mancipiis utriusque sexus, vineis, campis, pratis, silvis, aquis earumque decursibus, farinariis, exitibus et regressibus, cultum et incultum, cum omni integritate.

831.

Kenneth John Conant, 1968, op.cit., p. 50. Pl. XXV à XXVI et XCIII.

832.

Christian sapin, « L’abbatiale de Cluny II sous saint Hugues », actes du congrès international Le Gouvernement d’Hugues de Semur, Cluny, 1988, p. 438-439. « Cluny II et l’interprétation archéologique de son plan », Religion et culture autour de l’an Mil, Royaume capétien et Lotharingie, éditions. Picard, 1990, p. 86-87.