b. Le territoire immunitaire de 1080

(fig. 88)

Nous bénéficions heureusement d’un texte permettant de discerner les limites du territoire de Cluny. L’époque de l’élaboration du document est cependant déjà bien éloignée de la date de fondation de l'abbaye. En 1080, le légat Pierre Ignée, évêque d‘Albano, est envoyé à Cluny par le pape Grégoire VII afin de régler les différends entre l’abbaye de Cluny et les évêques de Mâcon et de Lyon. Les diocésains avaient porté l’interdit contre des églises clunisiennes ignorant les privilèges pontificaux. Le texte de la charte donne la première définition précise des limites du territoire dominé par le monastère de Cluny :

‘« Moi, Pierre, par la grâce de Dieu évêque d’Albano et légat du siège apostolique, interdis par Dieu Tout-puissant et par le bienheureux Pierre, prince des apôtres, et aussi par monseigneur pape Grégoire, que tout homme, quelle que soit sa puissance ou sa dignité, présume commettre contre ce lieu de Cluny à l’intérieur des limites notées ci-dessous, des homicides, des vols, des pillages ou de quelconques usurpations. Voici les limites : depuis le ruisseau de Saunat et depuis l’église de la villa de Ruffey et la Croix de Lournand ; de même depuis le moulin de Tornesac, par la villa appelée Varenna, par la limite qui conduit « per Io » au ruisseau de Saunat. »834

La Carta de Pierre d’Albano n’est pas conservée en original. Elle nous est transmise par quatre copies écrites entre la fin du XIe siècle et la fin du XIIIe siècle. La version manuscrite la plus ancienne est extraite du cartulaire C. Dans le manuscrit latin 17 716, le document se trouve compilé aux textes qui fondent l’immunité de Cluny. Les deux autres copies sont intégrées aux cartulaires D et E835.

À partir des indications de la Carta, Théodore Chavot a essayé de discerner les limites du territoire immunitaire de Cluny qu’il place en moyenne à un kilomètre autour du pôle que représente le monastère836. Si les frontières sud, ouest et nord ne semblent pas apparemment posées trop de problèmes de localisation,837 en revanche, le terminus oriental est beaucoup plus délicat à définir. Théodore Chavot situe sans argumentation précise la villa Varenna sur le lieu-dit actuel des Dagonneaux. Il identifie l’expression per Ios comme le site des Raverottes. Ces deux écarts de Cluny sont placés sur le bas de pente du bois de Bourcier à des distances situées entre un et deux kilomètres de l’abbaye.

Récemment, plusieurs cartographies de la zone d’immunité ont été tentées. Les essais de représentation de Joseph Réthoré838, d’Émile Magnien839 et de Barbara Rosenwein840 n’offrent pas d’hypothèses véritablement nouvelles par rapport aux travaux de Théodore Chavot841. La question de la configuration du premier territoire immunitaire de Cluny a été dernièrement reprise dans les travaux de Didier Mehu842. Le chercheur apporte le résultat d’une réflexion qui rejoint sur de nombreux points celle que j’ai pu effectuer.

Dans la Carta, la description des termini se développe selon un cheminement qui va dans le sens des aiguilles d’une montre, s’amorçant à partir du sud pour aboutir sur les marges orientales du territoire.

Notes
834.

Carta Petri albanensis et Cardinalis Romani Immunitate Cluniaci : «…Ego P [etrus] Dei gratia Albanensi episcopus et legatus apostolicae sedis interdico ex parte omnipotenti Dei et beati P [etri] apostolorum principis, necnon etiam ex parte domni mei Gregori pape, ut nullus homo cuiuslibet potentiae uel dignitatis huic Cluniacensi loco infra terminos inferius annotatos, homicidia, predas, sine rapinas uel aliqua invasiones, facere presumat. Hii sunt autem termini : a rivo de Salnai, et ab aecclesia Rufiacensis villae et cruce de Lornant, a terminio quoque molini de Tornesac per villam quae dicitur Varenna, per terminum qui dirigitur per Ios ad rivum de Salnane.»

835.

Didier Mehu, 2001, p. 141.

836.

Théodore CHAVOT, 1884, p. 110.

837.

Pour l’église de Ruffey : Théodore CHAVOT, 1884, p. 240. Voir aussi, Maurice Chaume, Les origines du Duché de Bourgogne, p. 1029 et 1037.

838.

Joseph Rethoré, 1998, p. 27.

839.

Émile MAGNIEN, 1994, p. 150.

840.

Barbara Rosenwein, 1988, p. 141 ; 1999, p. 178.

841.

Sur les questions historiographiques concernant les territoires immunitaires, Didier Mehu, 2001, p. 133-140

842.

Didier Mehu, 2001, p. 140-143.