III.3.3.5. La localisation des moulins médiévaux : intérêt et limites de la démarche régressive

Pour la période située entre le Xe siècle et le XIIIe siècle, les documents clunisiens donnent, en décomposant, plus de 200 mentions de moulins en comptant une mention pour les moulins au pluriel. Ce chiffre ne correspond pas au nombre de moulins. Nous avons vu plus haut que plusieurs documents peuvent intéresser une même installation. Par ailleurs, la citation de plusieurs moulins dans une charte augmente le nombre de machines. À partie du XIe siècle, On perçoit une tendance à une individualisation du moulin. La rivière sur laquelle il est installé est décrite. Par ailleurs, le nom même du moulin est cité. Ces éléments donnent des informations permettant une localisation.

D’un autre côté, nous disposons entre le XVIIIe siècle et notre période de plusieurs documents permettant un inventaire précis des moulins des régions du Mâconnais et du Clunysois. La carte de Cassini offre la possibilité d’identifier les moulins établis dans la région avant le milieu du XVIIIe siècle. Le document graphique signale l’emplacement de 187 installations dans les régions du Mâconnais et du Clunysois. Le document offre une précision intéressante en notant le nom du site. Par ailleurs, l’échelle de la carte permet une localisation suffisamment fine pour qu’il y ait des possibilités de confrontation avec les données des dernières couvertures cartographiques du secteur.

Le croisement entre les informations issues des documents médiévaux et les renseignements issus de la documentation moderne permet de saisir la continuité de l’utilisation d’un certain nombre de moulins depuis le Moyen Âge. Toutefois, nous verrons que, pour certains exemples, il ne faut pas se contenter d’attributions hâtives et bien cerner les limites de la méthode régressive. L’emploi de cette méthode part de l’a priori d’une fixation des sites de moulins dès l’origine de l’équipement de la région. Un moulin est plutôt une structure immeuble demandant lors de sa construction un important investissement. La tendance verrait donc plutôt une pérennité des lieux où se trouvent les moulins. En revanche, ces installations sont soumises à des aléas que sont le vieillissement, la désuétude et les activités parfois dévastatrices des rivières. Une bonne partie des moulins de la région est en effet installée sur ou à proximité immédiate du lit mineur des cours d’eau. Il est par exemple possible de s’interroger sur la pérennité des premiers sites de moulins mentionnés dans les chartes à la lumière du peu que nous connaissons sur le régime de cette rivière avant l’installation des moines.

La Grosne avait un fort hydrodynamisme permettant, avec l’action conjuguée du Médasson, de développer d’importantes crues au droit de Cluny. Il apparaît donc difficile d’envisager simplement l’existence de moulins du haut Moyen Âge dans le chenal de la Grosne. Les prairies de la Grosne présentent aussi de nombreux bras fossiles indiquant que la rivière a pu emprunter d’autres itinéraires que celui de son lit actuel. Par ailleurs, l’activité des moines va contribuer progressivement à réguler le cours d’eau. Si elle apporte énormément à l’assainissement de l’abbaye et de la ville, la mise en place d’importants barrages à la hauteur de Cluny tend à une domestication du lit de la rivière situé en aval de Cluny. Or, sur la Grosne, les moines ont plutôt acquis des moulins en aval de Cluny. Une des conséquences du passage d’une rivière naturelle à un cours d’eau humanisé serait que, pour une même localisation, les sites de moulins anciens ne correspondent pas aux moulins tels qu’ils peuvent être reconnus par la suite. D’autres écueils guettent une utilisation systématique de la méthode régressive. La toponymie de certains moulins pourrait avoir évolué dans le temps. Une installation désignée d’une façon dans les premières mentions peut éventuellement être plus tard confondue avec une autre appellation. Nous verrons plus loin des cas qui permettent de percevoir ce problème.

Nous allons maintenant définir par bassin versant les moulins dont on peut envisager la continuité de situation depuis les premiers signalements médiévaux.