III.4.2.1. Les adductions d’eau du monastère

Dans notre étude, la perception des différents réseaux d’adductions du monastère est apparue laborieuse. Un des problèmes principaux est que nous restons en grande partie tributaires de la documentation moderne. Quelques textes indiquent cependant que l’abbaye dispose très tôt d’une adduction d’eau qui permet notamment le fonctionnement d’un lavabo. Dans les débuts du XIe siècle, un acte signale la fontaine du cloître de Cluny1210.

Dans la première partie de ce travail, nous avions abordé la question des adductions d’eau pour les monastères du haut Moyen Âge. La règle bénédictine précise que l’accès à l’eau doit être dans le monastère. En revanche, saint Benoît ne signale pas de quelle manière l’eau doit se trouver au milieu de la communauté. Par l’action de thaumaturgie qu’il accorde à Benoît, Grégoire le Grand donne une autre prégnance à l’existence de l’eau dans l’enceinte monastique. L’eau qui est apportée miraculeusement aux moines dans les montagnes de Subiaco est un don de Dieu. Benoît est assimilé à Moïse qui fait surgir l’eau dans le Sinaï. L’épisode du Latium est différent cependant de celui de l’ancien Testament car les moines sont respectueux de leur père et de Dieu. Par leur foi, ils sont prédestinés à la Terre promise. Nous avons pu envisager que le plan de l’abbaye de Saint-Gall fût particulièrement inapproprié à l’analyse des systèmes hydrauliques. Les études qui se sont attachées, à partir du plan, à démontrer ou à infirmer l’hypothèse de l’utilisation commune des techniques hydrauliques ont finalement trouvé rapidement des limites. En revanche, la situation de la fontaine du cloître est remarquable si l’on s’attache à replacer le document dans l’esprit qui est à l’origine de son élaboration. La fontaine du préau du cloître de Saint-Gall est apparemment associée au thème de la Fontaine de Vie. Contemporain des concepteurs du plan sangallois, Raban Maur identifie explicitement la fontaine comme la Fontaine de Vie, et, par le biais de sa première signifiance, comme le Christ, les quatre fleuves étant assimilés aux évangiles. Il semblerait donc que, dès la période carolingienne, le fait d’amener l’eau au monastère ne soit plus uniquement un acte lié à la nécessité de garder les frères dans le temps de la clôture. L’adduction et la fontaine du cloître magnifient la conscience que les moines entretiennent avec Dieu. Dans la deuxième moitié du XIIe siècle, le plan de Christchurch de Cantorbéry pourrait rester sur cette conception. Certes, le document est prévu avant pour des finalités techniques, mais le réseau d’adduction est placé dans un contexte où les différents espaces du monastère sont hiérarchisés en fonction de leur perception symbolique et de leur rapport avec le monde des laïques. Or, dans cette échelle de valeurs, le lavabo du cloître de Cantorbéry se trouve placé au sommet.

Cluny naît et devient la référence du monachisme occidental dans la période encadrée par les deux jalons que constituent le plan sangallois et le dessin de Cantorbéry. Il est fort probable que dans l’abbaye de Cluny et dans les monastères affiliés la mise en place d’une adduction ait une forte connotation symbolique. Par extension, et quand les conditions topographiques le permettent, la disposition d’eau de sources que fournit la fontaine du cloître apparaît une nécessité pour que l’état de moine prenne toute sa signification. À cela s’ajoutent des considérations plus matérielles. Le monastère de Cluny comptera dans le XIIe siècle une communauté qui atteindra 300 religieux. Cette population importante et dense devait nécessairement avoir un accès facile à l’eau afin d’éviter les inconvénients plus ou moins graves de la promiscuité. Par ailleurs, dans le cadre d’une grande communauté, les difficultés à disposer rapidement d’eau peuvent générer des pertes de temps pouvant engendrer une désorganisation d’une journée monastique très bien réglée dans son déroulement.

Notes
1210.

CLU 2009.