La levée du « Grand-Étang »

Au sud et en amont de la ville, la digue du Grand-Étang ou Étang-Neuf joue un rôle évident de protection. Cette levée aurait permis de créer une réserve d’eau estimée à une vingtaine d’hectares.

Actuellement, il n’est pratiquement plus possible d’observer de manière satisfaisante la digue du Grand-Étang. L’industrialisation du secteur qui s’est développée à partir de l’installation hydraulique des Quatre-Moulins a été tellement importante qu’elle a totalement emprisonné le barrage. En revanche, la documentation iconographique, les plans-terriers, les cadastres et les écrits de Benoît Dumolin nous renseignent sur les caractéristiques de la levée. Au début de l’année 2000, une opération d’évaluation archéologique a par ailleurs permis d’approcher la construction1259.

Datée de la fin du XVIIe siècle, la gravure de Louis Prévost donne un aperçu du barrage qui se trouve situé dans l’arrière-plan du document (fig. 119 et 120). L’aspect monumental de cet ouvrage, saisissant, est encore amplifié par l’existence d’un pont appelé pont de l’étang, d’un édifice construit sur la digue qui pourrait être une porte et d’une tour massive où fonctionnaient les Quatre-Moulins. La paroi de la digue est munie d’une maçonnerie percée de cinq arcs qui pourrait éventuellement correspondre à des déversoirs secondaires.

Nous avons la chance de posséder une description de la digue qu’il est possible de trouver dans les notes manuscrites de benoît Dumolin.

‘« Cette rivière serpente ensuite et coule plus lentement à travers la prairie de l’étang neuf ; environ cinq cens pas du fond de la prairie, la rivière forme une petite isle. La branche qui coule du costé du soir porte ses eaux aux quatre moulins. Situé près de six cens pas au midy de la ville, c’est cette même branche qui va percer la ville et se réunir à la première à un quart de lieue au dessous de Cluny… aux extrémités et au milieu de la chaussée fait un morceau curieux elle a 1161 pieds de longueur, elle est large de 129 pieds. Les murs ont de chaque costé sept pieds d’épaisseur. Elle est percée de deux déchargeoirs hauts de sept pieds et demi sur la largeur de cinq, les pierres qui les couvrent en manière de voûte plate ont sept pieds de longueur sur l’épaisseur de cinq pouces. » 1260

Avant la Révolution, la digue était donc nettement visible. Les notes de l’érudit local donnent l’image d’un édifice très monumental, aussi ambitieux que les bâtiments de l’abbaye. Avec près de 370 m de longueur, elle barre totalement la vallée qui s’étrangle à cet endroit précis. Avec ses 42 m de largeur et des chutes d’eau de l’ordre de 2,50 m1261, l’ouvrage apparaît gigantesque.

D’après Benoît Dumolin, l’eau traversait la levée à trois endroits. Le trop-plein de la Grosne passe à l’est. L’érudit mentionne deux déchargeoirs. Un seul nous est connu, c’est celui qui alimente le bief fournissant l’énergie aux Quatre-Moulins et au moulin abbatial. La seconde chute d’eau a aujourd’hui totalement disparu, du moins dans les dimensions mentionnées par l’historien clunysois. La reconnaissance du déversoir passe par d’autres données.

Les documents iconographiques conservés au musée d’Art et d’Archéologie de Cluny permettent de repérer l’emplacement de cette deuxième prise d’eau et d’envisager la direction d’un autre bief. Nous avons vu précédemment que plusieurs documents, en particulier les plans-terriers du XVIIIe siècle, signalaient l’existence de bras d’eau de part et d’autre de la digue, entre l’alimentation du moulin assis au pied de la digue et le lit de la Grosne (fig. 183). Le plan des Ponts et Chaussée daté vers 18401262 ainsi que le plan géométral de la portion de prés appartenant aux habitants1263 signalent, en amont de la digue, un bras mort qui se dirige vers la levée à l’est de la prise d’eau nécessaire au fonctionnement des Quatre-Moulins (fig. 184). Malheureusement, les documents ne renseignent pas sur la présence éventuelle, en aval de la digue, d’un bief qui se dirigerait vers la ville. En théorie, le déversoir qui est décrit par Benoît Dumolin, important dans ses dimensions, pouvait permettre de faire passer autant d’eau qu’il en passait pour les besoins des Quatre-Moulins et du moulin abbatial. La présence du déchargeoir révélerait dans l’histoire du système hydraulique de Cluny l’existence à un moment donné d’un canal courant en direction de la ville cela parallèlement au bief appelé rivière de la Chaîne. L’axe théorique où pouvait circuler la dérivation du cours correspondrait approximativement à celui du chemin de la porte des prés Guyton au pont de Mâcon (actuellement Avenue Charles de Gaulle). Dans la documentation iconographique plus ancienne, deux fossés sont mentionnés de chaque côté du chemin (fig. 183). Nous avons vu plus haut qu’un des fossés est relié à une mare existant au pied du déversoir. Ces fossés peuvent éventuellement être les éléments résiduels d’un bras d’eau plus conséquent.

Notes
1259.

Gilles Rollier, rapport de diagnsotic archéologique préalable à l’établissement d’un parking (Entreprise OXXO), Cluny, avenue Charles de Gaulle, S.R.A. Bourgogne, janvier 2001.

1260.

Benoît DUMOLIN, Histoire et description de la ville et des environs de Cluny, 1749-1778, manuscrit, ACC, ms 71, f° 72. Bouché de la Bertillère reprend un peu plus tard le texte du notable clunisois. Bouché de la Bertillère, Description historique et chronologique de la ville, abbaye et banlieue de Cluny, depuis la fondation jusqu’à l’heureuse révolution de 1789, T. VIII.

1261.

Les plans des ponts et chaussées du XIXe siècle donnent 4 à 5 m pour la hauteur de la digue.

1262.

Cours de la Grosne. ACC C133 n° 3

1263.

AMC C132.