À l’instar d’autres grands monastères, l’abbaye de Cluny disposait d’une grande fontaine située dans le cloître. Le dernier état de cette fontaine pourrait avoir disparu dans le courant du XVIIe siècle. Le dénombrement du frère du Chastrelet signale la construction en 1623 : « Au milieu est du côté de midi, est le lavoir, pour aller au réfectoire, mesurant en carré 22 pieds, couvert en tuiles plates et lambrissé, en forme de pavillon ». La description ne laisse aucun doute sur le type de construction. Il s’agit d’un édifice à plan centré ayant une fonction de lavoir. Dans les environs de 1700, le plan anonyme donne une tout autre configuration pour le préau du cloître. Le bâtiment décrit dans le texte de 1623 n’apparaît pas. En revanche, il est représenté un autre dispositif hydraulique sous la forme d’un bassin ovale placé au centre de la cour du cloître.
Kenneth John Conant a abordé la question du lavabo et de son emplacement1352. Mais, faute de données, sa réflexion reste théorique. D’après lui, le monastère d’Odilon aurait disposé d’une fontaine placée près de l’angle sud-ouest du cloître, non loin de l’entrée au réfectoire et à proximité d’une prise d’eau à l’usage de la cuisine. La documentation graphique qui est associée à l’ouvrage de 1968 donne des informations sur la manière dont l’archéologue envisageait l’emplacement et la forme du lavabo. En effet, les planches IV et V relatives aux plans de l’abbaye vers 1050 et en 1088, montre une construction surprenante formée d’un léger décrochement de la colonnade de la galerie sud à l’angle sud-ouest du préau (fig. 204). Nous avons pu voir précédemment que ce type de fontaine de cloître était essentiellement présent dans les monastères anglo-saxons. Par ailleurs, pour ces derniers cas, la fontaine est plutôt appuyée contre le mur du réfectoire et non de l’autre côté de la galerie.
Il attribue trois chapiteaux pentagonaux à un éventuel lavabo qui aurait été construit en même temps que le cloître par l’abbé Ponce de Melgueuil (1109-1122). L’archéologue ne se prononce pas sur l’emplacement de la fontaine en l’implantant de manière assez floue entre le milieu de la galerie sud et l’angle sud-ouest du préau. Il n’a malheureusement pas beaucoup d’arguments pour avancer des hypothèses sur la forme octogonale ou semi-octogonale du bâtiment et sur l’aspect circulaire du bassin de la fontaine.
Le chercheur signalerait enfin, mais de manière détournée, l’existence d’une troisième installation qui serait justement celle qui est mentionnée dans le dénombrement de 1623. Pour ce dernier exemple, le dispositif hydraulique se trouverait au milieu de l’aile sud du cloître (fig. 205).
Face à cette tentative d’évolution de la fontaine du cloître de Cluny, Il faut constater que l’aile sud du cloître n’a pas encore fait l’objet de fouille, et, qu’il est à partir de là, bien difficile d’avoir des certitudes sur les emplacements et les dispositions des lavabos successifs du monastère de Cluny.
Nous savons finalement peu de chose sur le lavabo du monastère de Cluny, et d’ailleurs, plus généralement, sur les fontaines qui se trouvaient dans le monastère de Cluny. En effet, il n’est pas possible d’aborder cette question sans rappeler les conclusions des analyses du plan de Christchurch de Cantorbéry, monastère dont les dimensions sont en rapport avec l’exemple bourguignon. Les chanoines du monastère anglais avaient à leur disposition grâce à l’adduction pas moins de quatorze points d’eau dont cinq fontaines monumentales parmi lesquelles on trouve en premier lieu le lavabo du cloître. Le chapitre associé à la cathédrale de Cantorbéry avait une ampleur et une organisation l’apparentant à celles de Cluny. La situation de Cluny a vraisemblablement été très voisine si l’on prend en compte les affirmations du moine Jean qui signale vers 1063 que dans le monastère de Cluny il y a dans tous les endroits où l’eau est nécessaire, des canaux cachés qui l’amènent et la déversent en abondance 1353. Dans le troisième quart du XIe siècle, l’eau ne semble donc pas manquer dans le monastère. La mention laisse entendre que l’eau est amenée dans plusieurs lieux qui disposeraient normalement d’un point d’eau.
Il est difficile de trouver une mention se rapportant au lavabo dans le Liber tramitis. Les signalements de lavement des mains ou des mains et du visage reviennent pourtant très régulièrement1354. Seule une mention permet véritablement de placer l’acte de se laver les mains et la face dans le cloître1355. Le livre second du Liber tramitis donne la seule expression se rapportant expressément à la fontaine du cloître1356. La seconde référence au lavabo se trouve dans une charte antérieure à 10481357. L’acte de confirmation serait signé dans le cloître devant la fontaine. Sur l’ensemble des documents publiés par Bernard et Bruel, le document inventorié au numéro 2009 est le seul à signaler explicitement le lavabo des moines. Dans le texte, rien ne permet de saisir pourquoi la fontaine est mentionnée. Est-il possible d’envisager qu’il y a ait eu un rapport entre le fonctionnement de la fontaine et les terrains ayant fait l’objet de la confirmation ? Il ne peut s’agir des possessions données sur la villa de Sivignon qui est trop éloignée de Cluny. En revanche, les donations sur la villa de Ruffey apparaissent plus correspondre, compte tenu de la proximité avec Cluny et des qualités aquifères du territoire. Mais, il faut avant tout remarquer que les indications données par le texte ne permettent pas d’aller au-delà de ses conjectures.
Le coutumier d’Ulrich ne signale pas non plus explicitement le lavabo des moines. Dans le chapitre se rapportant aux charges du chambrier, Ulrich mentionne l’eau provenant d’une conduite d’eau indiquant que le monastère disposait d’un système d’adduction1358. Le coutumier décrit aussi un lavabo secret muni d’un aqueduc où le religieux peut laver ses femoralia 1359. Un peu plus loin dans le texte, il est question d’un dispositif situé dans le cloître et possédant plusieurs cavités donnant la possibilité de laver séparément le stamineum et les femoralia 1360. Les deux références peuvent-elles concerner la même installation ? Il est difficile de le supposer. Située dans le cloître la deuxième installation peut éventuellement correspondre au lavabo. Mais, il est cependant nécessaire de s’interroger sur la description qui laisserait entendre une forme allongée pour le dispositif qui s’opposerait à la configuration d’une fontaine à plan centré. Cela rappellerait les exemples anglo-saxons de lavabo longitudinaux et l’hypothèse de John-Kenneth Conant concernant le lavabo du cloître du XIe siècle. Le système dispose de plusieurs cuvettes permettant de laver séparément les différents sous-vêtements. Il paraît surprenant qu’Ulrich n’est pas fait dans ce cas directement mention à la fontaine des moines ou au lavabo. Il devait exister dans le cloître de Cluny un dispositif précis permettant de laver le linge sans forcément que celui-ci soit relié à une conduite d’adduction d’eau. Outre le cloître, d’autres secteurs du monastère devaient disposer d’une fontaine. Chez Ulrich, on trouve une référence au lavabo de l’infirmerie1361. Le malade devait s’y laver les mains avant de s’asseoir à table. Cette fontaine était vraisemblablement placée comme à Saint-Michel-de-Cuxa dans une cour contiguë aux bâtiments de l’infirmerie.
Il y a finalement une mention du lavabo des moines dans le chapitre général du 9 mai 13891362.
Nous devons à Kenneth John Conant les découvertes de pièces ayant vraisemblablement appartenu à une fontaine de cloître. Le Pit 90, installé dans le transept sud devant la chapelle Saint-Étienne a en effet fourni un élément de cuve. La cuve ressemble beaucoup à celle du lavabo de l’abbaye cistercienne de Maubuisson datée du XIIIe siècle. Le même sondage a par ailleurs permis la découverte de deux fragments de conduites en pierres utilisées en remploi. Mis en évidence en 1949, ces éléments ont été redécouverts lors des fouilles dirigées par Anne Baud en 1993-1994. Le chercheur américain attribue par ailleurs trois chapiteaux pentagonaux à un lavabo construit par Ponce de Melgueuil (1109-1122). Kenneth John Conant suppose sans beaucoup d’argument que la construction était installée entre le milieu de l’aile sud et l’angle sud-ouest du cloître1363.
D’après le dénombrement du frère du Chastrelet, un lavabo existait dans le cloître de Cluny autour des années 1620. Le texte décrit rapidement le monument dans lequel était située la fontaine. Malheureusement, sur le plan anonyme, le lavabo a disparu au profit de la représentation d’un bassin installé au centre du préau du cloître. À partir des informations du document du XVIIe siècle, Kenneth John Conant envisage qu’il ait existé une vasque installée dans un bâtiment de forme carré. Rappelons le passage : « Au milieu est du côté de midi, est le lavoir, pour aller au réfectoire, mesurant en carré 22 pieds, couvert en tuiles plates et lambrissé, en forme de pavillon ». Il est possible de se demander si la dimension de 22 pieds (soit près de 7,50 m) indiquée dans le texte correspond bien à une construction quadrangulaire ou, plutôt à un édifice de plan centré dont le module généré du plan serait basé sur un carré. En effet, la description ne signale pas explicitement la forme quadrangulaire du lavabo. Elle peut très bien correspondre à une construction qui pourrait être polygonale. Une autre remarque concerne la situation du lavabo. Kenneth John Conant reprend simplement les informations du document en envisageant que la fontaine soit implantée au milieu de l’aile sud du cloître. Cependant, on peut s’interroger sur la signification du terme « au milieu » qui pourrait tout bonnement indiquer le préau du cloître et non la partie médiane de la galerie sud. Dans ces conditions, le texte signalerait simplement que le lavabo soit placé dans la partie sud de l’espace du jardin claustral, sans que pour cela ne soit précisée la position du bâtiment par rapport à l’aile sud et au réfectoire.
Le texte ne signale malheureusement pas la manière dont était établi le système hydraulique à l’intérieur du pavillon. Il n’est pas exclu, compte tenu du type de plan, que la fontaine ait été construite selon la disposition commune d’une cuve arrondie. Une autre question qui se pose pour cette installation mentionnée au XVIIe siècle est celle de sa datation. Sans données nouvelles que pourraient apporter des investigations archéologiques sur la partie méridionale du cloître de Cluny, nous restons quelque part sur les hypothèses envisagées par Kenneth John Conant tout en réalisant que les arguments manquent cruellement pour accréditer le modèle d’évolution mis en place par l’archéologue américain.
Kenneth John CONANT, 1968-1, p. 66 et 108.
« quomodo per cunctas officinas ubicumque aqua necessaria quaeritur, per occultos meatus statim mirabiliter sponte diffluit. ». trad. D’apr. Guy de Valous, 1935-1970, t. II, p. 84. Migne, P.L., 145, col 873-875. Kenneth John conant, 1968-1, p. 41.
Il ya 18 mentions pour le lavement des mains et 20 pour celui des mains et du visage. CCM X, liber primus, p.21, 22, 29, 47, 50, 51, 58, 70, 76, 77, 81, 91, 103, 112, 117, 122, 124, 129, 131, 145, 148, 165, 168 , 170, 178, 179, 201 ; liber alter, p. 214, 221, 225, 232, 237, 254, 265, 266, 270.
CCM X, liber primus, p. 22 : Cum autem uiderit custos lucem apparere, sonet signum ecclesiae quod maius est, et exurgentes lotis manibus et faciebus in claustro, eant in ecclesiam et oratione facta praeparentur ad missa.
CCM X , liber alter, p. 221 : Fratres exeuntes de coquina alia ebdomada lavent fontem, ubi fratres nitidant manus suas atque facies. Dans la partie de son ouvrage de 1968,re latve au Liber Tramitis, Kennth John conat signale la metion du lavabo : lavabo manus meas in innocentia. Cependant, cette expression ne semble pas issue du Coutumier de ‘lapoque d’Odilon.
CLU 2009. « Qui station requirere jussit cartam quam idem requeleratores fieri regaverant et firmaverant ; qua inventa, ragavit ad se venire eosdem fratres in cluniacenci claustro, ante fomtem, in festivitate Sancti Pauli quae est Kalende julii. ». Pour la datation, Maurice Chaume RM XXXI-1941 P 42. Peu avant 1048. Les donateurs sont des milites de Cluny, fils de Gilbert de Cluny, issus de la lignée de l’évêque Maimbeuf. Témoins : Achardus clericus de Marziaco, activité entre 1035 et 1060 ; Constantin de Maillys, mentions entre 1045 et 1060 ; Guibert (Witbertus), souche ? des chevaliers de Sandon, fréquemment cités entre 1060 et 1090.Maurice Chaume RM 1949. n° 157-158 p 41. CLU 2867.
PL CXLIX, col 753 ; Ulrich, leber tertius, XI, De camerario : …aqua per canalem de aquae ductu… Un document comptable du XIVe s précise que la réparation des conduites de l’adduction d’eau du monastère était à la charge du chambrier Jean Virey, 1910, p.279 et 286. Sequitur de conductu aquarum. Primo : Pro conductibus foncium et aquarum aptandis et manutenendis per annum XXX librarum.
PL CXLIX, col 707 ; Ulrich, liber secundus, XIII : …Est autem apud lavatorium secretum cum aquæ ductu, ibique lavat femoralia sua…
PL CXLIX, col 707 ; Ulrich, liber secundus, XV : In claustro autem truncum amplissimum cum plerisque intervallis cavatum, ut hic stamineum, illic femoralia lavari separati.
PL, CXLIX, col. 769 ; Ulrich, liber tertius, XXVI, De infirmis : …Priusquam sedeat ad mensam, lavat manus ad lavatorium infirmorum…
G. Charvin, t.IV, p. 274.
Kennth John conant, 1968-1, p.108.