a. Le moulin monastique

Les origines du moulin

Selon les textes normatifs bénédictins, le moulin doit se trouver dans le monastère. Telle que nous la connaissons, la base de la Tour du Moulin peut éventuellement remonter à la deuxième moitié du XIIe siècle. Pour A. et J. Talobre, un moulin existait préalablement à l’emplacement de la tour du moulin. Le moulin aurait été bâti avant 1180 et servait aussi, selon les auteurs, de tour de défense1423. Il apparaît cependant difficile d’établir où pouvait se trouver le moulin avant cette période. Les textes des Xe et XIe siècles ne donnent pas d’informations en rapport avec le moulin monastique. La charte de fondation signale bien parmi les biens la donation de moulins sous le terme de farinaris. Mais, rien ne permet de supposer qu’une des installations soit par la suite devenue le premier moulin des moines. Cela est d’autant plus délicat à mettre en évidence que, nous l’avons vu précédemment, les caractéristiques du site au moment de la fondation du monastère pourraient être bien différentes de celles qui prévalent par la suite. Les moines ont donc pu construire un nouveau moulin afin de satisfaire aux recommandations de la règle bénédictine.

Le Liber tramitis ne fait pas mention du moulin monastique. Le seul bâtiment signalé ayant un rapport avec la mouture est le pistrinum 1424. La boulangerie est la dernière construction citée dans la description. Le texte la situe en bout de l’atelier des orfèvres qui est placé entre les bains et le noviciat. Elle est munie d’une tour à sa tête et se développe sur 70 pieds de long pour 20 pieds de large.

Le coutumier d’Ulrich, pourtant précis, ne donne pas plus d’information explicite sur le moulin et son fonctionnement au sein de la communauté.

Les données archéologiques restent inexistantes sur cette question des origines du moulin monastique. Les seuls indices qui pourraient permettre de situer approximativement le moulin seraient les mises en évidence de l’ancienneté de certains écoulements hydrauliques circulant dans la ville. Si l’on se fie à la topographie de la ville actuelle, on s’aperçoit que le Médasson ne coule pas aux points les plus bas mais au pied de la pente orientale de la colline Saint-Odile. Il est remarquable de constater qu’un canal de direction ouest-est existe dans l’enceinte monastique et qu’il passe sensiblement à la hauteur des points les plus bas du relief. Cet aqueduc, très partiellement reconnu, passe sous l’extrémité sud de la Malgouverne. Un arc permettant le passage de l’eau est encore perceptible à la base du mur gouttereau oriental du bâtiment. L’axe du conduit permet de rejoindre à l’est le coude à angle droit permettant de renvoyer les eaux vers les grandes latrines médiévales. Il est intéressant de constater que le plan anonyme place au niveau de la Malgouverne un couloir étroit qui répond plus loin à un autre passage placé à l’extrémité sud de l’aile du dortoir. Ces passages peuvent traduire la circulation des hommes. Ils peuvent aussi correspondre à celle de l’eau. Les deux peuvent être possibles. Dans ces conditions, le lit du Médasson pourrait être considéré comme un bief dérivant une grande partie des eaux du lit mineur du ruisseau, qui lui serait canalisé vers l’aile sud du monastère.

Malheureusement, il n’est pas possible pour l’instant d’assurer que la planimétrie visible aujourd’hui répond sensiblement aux caractéristiques du relief existant dans les premiers temps du monastère. En effet, diverses interventions archéologiques dévoilent que le lit majeur du Médasson a été l’objet d’importants remblaiements. Par ailleurs, le relief actuel prend en compte les incidences des destructions des bâtiments monastiques.

L’utilisation du Médasson pour les besoins internes du monastère mais aussi pour faire tourner le moulin n’est cependant pas à exclure. Le Médasson a de bonnes capacités hydrauliques. Un autre indice est lié à la position de l’exutoire du Médasson dans la ville. Le ruisseau se jette dans le bras des Quatre-Moulins au niveau de l’écluse de la Tour du moulin. Or, le bras des Quatre Moulins est un bief qui permet la mise en place d’une chute d’eau. Il viendrait donc récupérer les eaux du Médasson à un niveau surprenant dans le cadre d’une confluence naturelle. Le niveau actuel du débouché de l’affluent est même légèrement supérieur à celui de la surface de l’eau coulant actuellement dans la dérivation de la Grosne. La chute de l’eau du ruisseau a d’ailleurs provoqué un profond affouillement du radier du grand bief. Un profil en long du canal des Quatre Moulins réalisé en 1839 avant des transformations présente bien le décalage entre le radier du bief et celui du ruisseau1425. Par ailleurs, avant la confluence avec le bras canalisé de la Grosne, le ruisseau dispose dans sa paroi orientale d’une importante prise d’eau voûtée. Elle s’ouvre par un arc en plein cintre soigneusement construit avec des voussoirs taillés dans du calcaire à entroques. Cet élément rappelle très clairement les arcs des ouvertures murées à la base des murs gouttereaux du premier niveau de la construction du farinier. Actuellement, la conduite est en grande partie ensablée et colonisée par les rats pour leur nidification. Le cadastre de Cluny élaboré entre 1839 et 1843 permet de remarquer que cette prise d’eau alimentait selon un parcours septentrional, voir nettement décalé vers le nord-ouest, les latrines du monastère du XVIIIe sicle et la conduite permettant d’alimenter les trois viviers1426. Cela suppose qu’il y ait une pente suffisante perpendiculaire à l’axe découlement du ruisseau pour que l’eau puisse être poussée vers le nord. L’ensemble de ces indices concouraient donc à envisager que le tracé du lit naturel du Médasson se trouve sensiblement le long de l’aile sud du monastère. Le cours canalisé du Médasson tel qu’il est reconnu correspondrait alors à un bief qui permette la régulation du cours avant son passage dans le monastère et les conditions d’installation d’une machine hydraulique.

Le schéma hydraulique qui se dessinerait à Cluny s’approcherait de celui de nombreux exemples d’implantation monastique. Le grand monastère clunisien de Marcigny présente par exemple une organisation hydraulique de ce type (fig. 212).

Il n’est pas très facile d’émettre des datations pour le tracé général du Médasson. Les seules données qu’il est permis de récolter sont liées aux relations entre le conduit et le bâti civil ancien de la ville. En effet, une partie du tracé de la conduite est placée sous les maisons construites sur la face sud de la rue Mercière et de la partie basse de la rue du Merle (fig. 180). Les travaux de Jean-Denis Salvèque et Pierre Garrigou-Grandchamp placent parmi celles-ci cinq maisons du XIIe siècle et six des XIIIe-XIVe siècles. Même si les auteurs envisagent des constructions établies dès le début du XIIe siècle, ce terminus ante quem apparaît de toute façon trop tardif pour notre propos.

L’utilisation de l’eau provenant du Médasson pour alimenter un moulin abbatial trouve aussi des limites. Nous avons vu précédemment que, dès la première moitié du Xe siècle, la Grosne semble bien équipée en installations hydrauliques. La rivière offre en effet de meilleures capacités hydrodynamiques que son affluent. Il semblerait curieux que les moines n’aient pas rapidement profité des possibilités offertes par le cours. Rappelons que c’est justement au droit de Cluny que la pente de la vallée de la Grosne est une des plus fortes d’un tronçon compris entre Sainte-Cécile et Cormatin. En revanche, contrairement aux facilités potentielles du Médasson, la mise en place d’un moulin monastique sur la Grosne pose divers problèmes. Le premier est le relatif éloignement entre la terrasse alluviale qui a vraisemblablement offert la première implantation et le lit naturel de la Grosne. Compte tenu de ce que nous savons sur la topographie médiévale du secteur, on peut estimer à près de 300 m la distance entre les plus anciens vestiges du monastère et le lit mineur de la Grosne. Rapprocher le moulin du site des premiers monastères impliquerait la mise en place d’un bief qui apporte l’eau à la roue. Dans ces conditions, il apparaît que le bras des Quatre-Moulins amène de l’eau à moins de 150 m de la terrasse. Rien ne permet de situer le moment où a été creusé le canal. Les bâtiments civils assis sur la conduite ont été datés au plus tôt des XIIIe et XIVe siècles1427, période pour laquelle nous commençons à avoir des informations sur cet élément hydraulique1428. Les seuls indices permettant de remonter dans le temps sont liés aux relations entre le bief et la maison romane située au 23 rue de la Filaterie. Les datations dendrochronologiques identifient la construction de la charpente avec des bois qui seraient abattus dans le courant de la première moitié du XIIe siècle1429. Comme pour le cas du Médasson, il est donc peu possible de discerner la période de mise en place du canal dérivé de la Grosne.

Notes
1423.

A et J Talobre, 1936, p. 14.

1424.

CCM, X, p. 206.

1425.

AMC C133

1426.

Plans généraux et de divisions avec le traité des alignements de la ville de Cluny, chef-lieu de canton, département de Saône-et-Loire, sous l’administration de monsieur Delamas Préfet et Monsieur Bruys Maire par J.M.Gormand, Géomêtre demeurant à Vaux, commune de Jalogny.

1427.

19, rue Bénétin ; 41, rue de la Liberté ; 43, rue de la Liberté.

1428.

L’abbé Henry de Fautrières (1308-1319) aurait réparé le conduite du Grand Étang. BC, col 1670.

1429.

D’ap Pierre Garrigou-Grandchamp et al., 1997, p. 232-233.