III.5. Cluny : une hydraulique performante dans un site choisi.

À l’instar des monastères cisterciens, Cluny a disposé de systèmes hydrauliques pour l’adduction d’eau, l’assainissement du monastère et pour faire fonctionner des moulins. La situation d’implantation de l’abbaye est remarquable et permet le déploiement des circuits d’eau. Les bâtiments monastiques sont établis sur une terrasse alluviale dans le confluent entre une rivière et un ruisseau. Ce type d’installation n’est pas unique à Cluny. Elle pourrait se réaliser dans le cadre de véritables traditions d’implantation bénédictines reconnues dès la période carolingienne. Pour les moines noirs, le confluent apparaît comme un lieu privilégié. D’un point de vue pratique, la configuration naturelle permet à la fois de profiter d’un petit cours d’eau pouvant facilement être domestiqué pour les besoins des religieux (adduction d’eau, assainissement) et d’une rivière plus importante où seront construits les moulins et les installations permettant l’élevage du poisson et la pêche. Mais, il y a aussi l’aspect symbolique du confluent qui a pu jouer un rôle qu’il ne faudrait pas négliger dans la transmission du choix de site1477. Dans de nombreux cas, en s’adaptant aux configurations particulières de chaque situation naturelle, les fondations clunisiennes vont être fidèles au modèle d’implantation de Cluny. Paray-le-Monial, Marcigny, La Charité-sur-Loire, pour ne prendre que ses exemples, forment un ensemble très cohérent dans ce type d’implantation.

Cependant, l’abbaye de Cluny avec son développement va finir par se développer en fond de vallée, même si le cloître reste à l’abri sur la terrasse des 239-240 m. Dans la deuxième moitié du XIe siècle, l’aile de l’infirmerie glisse très sensiblement dans le lit majeur de la Grosne. Parallèlement, les fouilles ont montré que d’autres constructions à usages plus vraisemblablement économiques se développent, entre le Xe siècle et la fin XIe siècle, au nord-est de ce grand ensemble de construction1478. D’un monastère de confluent, Cluny devient un monastère de fond de vallée. C’est avec cette transformation que sont aussi réunies les conditions permettant au faubourg Saint-Marcel de se mettre en place puis de se développer. Rappelons que la chapelle Saint-Odon qui est l’oratoire précédant l’édification de l’église Saint-Marcel après le milieu du XIIe siècle est signalée pour la première fois dans le privilège d’Urbain II en 1095. La chapelle aurait été construite par Hugues car un nouveau noyau de peuplement se développait dans le lit majeur de la Grosne1479. En 1120, Calixte II (1119-1124) reconnaît le statut paroissial à l’ecclesia Saint-Odon, avec des droits similaires à ceux de l’église Sainte-Marie située dans le bourg1480. Le développement de la ville et de l’abbaye sur la plaine alluviale ne peut s’établir sans des aménagements du cours de la rivière. Il est possible d’envisager en particulier qu’une première digue de protection puisse être installée en aval, vraisemblablement au niveau de l’étranglement de la vallée, là où sera par la suite établie la chaussée du Grand-Étang. L’implantation de fond de vallée qui trouve sa réalisation dans le monde cistercien aurait ainsi son archétype à Cluny.

Les systèmes hydrauliques sont proportionnels à la dimension du monastère. Le circuit hydraulique clunisois apparaît aussi complexe. Les comparaisons qu’il est possible d’établir n’appartiennent pas nécessairement aux mondes cisterciens, mais peuvent s’établir avec de grosses installations monastiques comme Saint-Denis ou Christchurch de Cantorbéry.

En conclusion, il apparaît finalement que les clunisiens ont été les garants des savoir-faire entre la grande embellie monastique de la période carolingienne et l’avènement de moines qui, à partir de la fin du XIe siècle et dans d’autres contextes économiques ou normatifs, vont développer une hydraulique adaptée à leurs besoins ou à de nouvelles nécessités.

Notes
1477.

cf supra partie I : Les écoulements § 1.3.2.3 la question du site de confluence.

1478.

Gilles Rollier, 1996.

1479.

Didier Mehu, 2001, p. 224

1480.

Didier Mehu, 2001, p. 225