IV.1.2. Implantation et tradition

A travers les conditions des implantations des monastères fondés entre les débuts du Moyen Âge et la période carolingienne, il apparaît se dégager une tendance à s’installer en bordure de rivière. À l’opposé de l’île monastique, dont l’image peut aussi se refléter dans les sommets inaccessibles, l’isolement ne semble pas avoir été un facteur indispensable dans le choix du site monastique. Dans des situations géographiques diverses, les monastères de Vivarium, en Calabre, de Saint-Claude dans le Jura ou de Loches en Touraine étaient dès les Ve et VIe siècles placés près de cours d’eau afin notamment d’en utiliser les capacités hydrauliques. La relation entre les flux arrivant ou sortant et la position du monastère est essentielle. Techniquement, nous restons sur des systèmes hydrauliques soumis au phénomène naturel de la gravité. Il faut donc placer le monastère de telle manière qu’il puisse utiliser au mieux les potentialités de l’eau.

L’adage qui voudrait que Benoit préfère les montagnes et Bernard les vallées ne semble pas pouvoir résister à l’analyse. Il faudrait remarquer qu’avant d’être abbé d’un monastère perché sur le Mont-Cassin, Benoît, le père des bénédictins, était un moine du fond de la vallée de l’Anio, dans la région de Subiaco. Une fresque du XIIIe siècle, peinte par le maître Conxolus et située dans la grotte du monastère de la Sacro Speco, présente Benoît et les religieux Maur et Placide au bord du lac de barrage construit sous Néron. Des fouilles réalisées sur le nymphée antique placé à proximité de la retenue d’eau ont eu l’intérêt de mettre en évidence une occupation monastique du VIe siècle. La documentation iconographique et archéologique conforte les informations données par le Pape Grégoire-le-Grand (590-605), biographe de Benoît de Nursie.

L’auteur signale plusieurs fois la relation privilégiée existant entre les moines du Latium et l’eau. Document essentiel dans l’origine du mouvement monastique médiéval, la règle de saint Benoît marque un rapport étroit entre le monastère et l’eau. Le chapitre 66 signale que « le monastère sera construit de façon que tout le nécessaire, à savoir l’eau, le moulin, le jardin, soit à l’intérieur ». A priori, le respect de ce précepte supposerait le choix d’un site d’implantation favorable, une adaptation du monastère aux conditions imposées par l’environnement et aussi une transformation du lieu afin que celui-ci convienne au mieux aux besoins du cloître bénédictin. L’incidence de la présence du moulin dans la clôture monastique est en cela très significative. Le document normatif ne donne pas de précisions sur le type de moulin et, d’ailleurs, le but recherché par Benoît est de permettre aux moines de rester dans la clôture. Un moulin à sang peut sans problème convenir à cette précaution. En revanche, à partir du moment où la meunerie hydraulique devient une activité incontournable, les interactions entre bâti et site deviennent évidentes. Il apparaît alors nécessaire d’implanter le monastère non loin d’un cours d’eau, de respecter ou contourner les contraintes imposées par le relief et l’hydrologie et d’apporter l’eau au moulin. Dans cette relation entre le site et le monastère s’ajoutent les conditions imposées par la mise en place du plan monastique classique. Au moment des premières expériences cénobitiques, la disposition des constructions claustrales devait être lâche. En revanche, le plan bénédictin, dont les prémices peuvent déjà être saisies dans le texte de Grégoire le Grand et, qui trouvera plus tard, avec le plan de Saint-Gall, une expression graphique remarquable, donne un agencement précis des différents bâtiments. Parmi ceux-ci, le moulin bien sûr, mais aussi les latrines, les bains et les fontaines constituent des constructions dont l’établissement est contraint aux possibilités d’apporter puis d’évacuer l’eau nécessaire à leur fonctionnement.

Parmi les sites de bordure de rivière, l’implantation à la jonction entre deux cours d’eau semble avoir été appréciée. La situation de confluence est une caractéristique banale des monastères fondés à la période carolingienne. Albrecht Hoffmann a pu la mettre en évidence pour les territoires germaniques de Hesse et de Thuringe. Ce type d’implantation se réalise aussi en Septimanie, avec notamment les fondations d’Aniane et de Gellone. Les différents exemples traduisent les profits que peuvent retirer les moines d’une installation qui offre des possibilités hydrauliques exceptionnelles en permettant à la fois une domestication de l’affluent que l’on amène directement dans le cloître et une protection contre la rivière réceptrice dont on se protège en s’en éloignant légèrement tout en utilisant ses puissantes possibilités hydrauliques pour les moulins, les pêcheries et les divers types d’irrigation. Fondée en 910, l’abbaye de Cluny obéit à ce type d’implantation.