IV.1.3. Symbolique

Expression la plus extrême du désert, l’insularité est un penchant visible de la vie monastique de la fin de l’Antiquité et du début du Moyen Âge. A l’instar d’Honorat sur les îles de Lérins, de nombreux moines ont cherché l’isolement derrière le retranchement qu’offraient les flots plus ou moins tumultueux de la mer ou du fleuve. À l’inverse, dans le monde, la situation en bordure de rivière n’offrirait plus les mêmes garanties de solitude. Les rives du fleuve sont des lieux de passage propres au peuplement. Cependant, il est possible d’être frappé par les descriptions qui peuvent être faite des lieux monastiques terrestres. Sulpice Sévère dans sa visite du monastère tourangeau de Martin ou la Vie des Pères du Jura qui magnifie le choix de l’ermite Romain font une analogie suffisamment nette avec l’île monastique, la clôture naturelle étant permise par les marges aquatiques, mais aussi par des abrupts à l’accès difficile. Ces correspondances entre sites continentaux et monde insulaire ne sont pas propres à ces textes. Chez Isidore de Séville, il existe des parallèles entre l’île, la presqu’île, le promontoire, voire la montagne. Le définition de l’île devient très large et peut recouvrir différentes situations géographiques. Ainsi, le méandre de rivière, qui a permis par exemple l’implantation des moines à Jumièges, ou dans une certaine mesure le confluent, à l’image de Saint-Claude ou d’Arles-sur-Tech, peuvent ils être considérés comme des extensions de la notion d’île.

L’implantation sur le continent peuplé, séculier, a cependant pour corollaire la recherche d’un nouveau refuge qui permette l’expression du désert monastique et qui trouve sa réalisation dans l’établissement de la clôture. Le cloître est finalement doté d’une sacralité qui l’isole du monde tout en en faisant un centre. L’organisation du territoire monastique selon un développement concentrique prenant pour origine le cloître se retrouve sans conteste dans l’emboîtement des espaces tel qu’il peut être perçu à l’époque carolingienne, dans le plan de Saint-Gall et dans les statuts du monastère de Corbie1482, plus tard, dans la description de l’abbaye de Cluny que l’on trouve dans le Liber tramitis aeui Odilonis 1483, ou encore, vers 1170 dans le plan plus technique du monastère de Christchurch à Cantorbéry.

Le schéma conceptuel présentant une progression allant de l’espace le plus sacré vers les lieux où le moine est en relation avec la familia et les laïcs induit des conséquences sur la disposition de certains bâtiments qui se trouvent, de part leur fonction ou leur relation au corps, repoussés ou agrégés à l’intime espace des moines. Les latrines se trouvent par exemples promues à être écartées du centre claustral tout en restant liées organiquement, il le faut bien, à celui-ci. La question se pose aussi pour la circulation de l’eau. Cette eau n’est pas unique et il faut réellement envisager les circulations des eaux. Celles-ci desservent des espaces qui n’ont pas tous la même fonction, ni la même importance symbolique. Cette eau mute en diverses essences en fonction du lieu où elle sera utilisée. La hiérarchisation des divers états de l’eau, allant de l’eau bénite à l’eau des latrines, pourrait se trouver parallèle à celle qui peut être perçue dans le projet monastique.

Avec ses installations hydrauliques, avec ses différents écoulements dignes de la ville antique, le clos des moines devient une véritable cité. L’eau ne coule plus en abondance pour assurer comme le soutenait Frontin, le plaisir du citadin, mais, cette fois, elle favorise la transcendance vertueuse de l’homme qui chemine vers Dieu.

Notes
1482.

Élisabeth Magnou-Nortier, 1998, p. 51-71.

1483.

Liber tramitis aeui Odilonis, CCM X, p. 202-206.