Augustin (354-430) envisage une hiérarchie entre les différents savoirs. Au sommet se placent les activités humaines qui s’adonnent au savoir théorique (les scibilia) suivies de celles qui visent la morale de l’action (les agibilia). Toutes les tâches de fabrication (les factibilia) sont situées dans le bas de la hiérarchie. Les techniques sont entrevues avec précaution car elles risquent de tirer l’âme vers le domaine du sensible. S’il condamne les sciences occultes associées au démon, il demande « aux jeunes gens studieux et intelligents qui craignent et cherchent la vie heureuse » de ne pas s’inquiéter à apprendre entre autres les « arts mécaniques utiles ». L’enseignement doit se concentrer sur les arts libéraux qui apparaissent préalables à la connaissance des textes sacrés1487. Cette hiérarchie des savoirs est aussi très nettement énoncée par le pape Grégoire le grand1488. La société médiévale est ainsi une société lettrée mais les caractéristiques mêmes de l’enseignement chrétien font qu’elle laisserait une part importante à la culture orale.
Par ses caractéristiques de société religieuse, elle pourrait réaliser une véritable symbiose entre transmissions orale et écrite. Pour l’étude du Moyen Âge, l’évanescence d’un savoir sous-jacent est un problème pour l’historien. Le colloque sur l’innovation technique au Moyen Âge a pu entre autres constater les limites d’une histoire basée uniquement sur les textes. Jean-Marie Pesez avait eu alors l’occasion de reconnaitre les capacités d’innovation des hommes du Moyen Âge, et cela dans divers domaines1489.
Ces facultés permettant d’innover ne peuvent s’établir que dans une bonne connaissance de la technique et un savoir-faire éprouvé. Cela suppose qu’il y ait une transmission du maître à l’apprenti, de l’acquis et du geste.
Le savoir technique transparaît cependant à travers les textes. La référence à Columelle est explicite dans les ouvrages de Cassiodore. La vie des Pères du Jura donne d’une certaine façon des indications sur la manière de conduire un moulin et sur la disposition des clayonnages bordant les berges d’un bief. Les bibliothèques monastiques renfermaient par ailleurs des ouvrages antiques à valeur techniques. Mais, l’ensemble de cette documentation n’assure pas la possibilité de l’apprentissage de tel ou tel savoir faire. Tout au plus, mais c’est déjà essentiel, l’écrit permet de mettre en place des références et des liens permettant la continuité de la culture de l’eau. Pour certains textes, il est même possible d’envisager la constitution de modèles suffisamment prégnants pour qu’ils forment le fondement de certaines traditions. Nous avons pu précédemment voir ce qu’il en était pour l’implantation des monastères.
Saint Augustin, De Doctrina Christiana, II, 39 et 40, traduction G.Combes.
Grégoire le grand, Commentaire du premier livre des Rois, V, 30, PL LXXIX, 355.
Jean-Marie PESEZ, 1996, p. 11-14.