3. Plan d’ensemble

Le premier chapitre expose le cadre théorique de ce travail, à partir d’une interrogation sur la façon dont s’articulent langage et cognition dans l’expression de l’espace en général, et du mouvement en particulier. Nous proposons un premier parcours, du mouvement au langage, c’est-à-dire de sa perception à son expression, au cours duquel nous présentons et situons l’idée que le spatial aurait un statut privilégié et primordial pour la cognition comme pour la construction du langage, en diachronie puis, par parallèle, dans l’acquisition du langage. Nous analysons ensuite le passage délicat de la cognition au langage en montrant qu’il existe des contraintes proprement linguistiques, qui ont été révélées par une prise en compte plus systématique de la diversité des langues et de leur impact sur l’ontogenèse. A partir de là, on peut seulement penser des interactions constantes entre cognition et langage en général, et entre l’empreinte particulière qu’apporte le mouvement à la cognition, et son expression linguistique. Nous montrons comment les deux familles de théories linguistiques dont se réclame ce travail prennent en compte ces problèmes. Nous nous attachons ensuite à présenter le versant linguistique de la question : des primitives de Talmy aux différences de structuration entre le français et l’anglais qu’elles permettent de formaliser, et à leur impact sur notre compréhension de l’acquisition du langage. Le second parcours proposé dans ce chapitre aborde les grandes étapes et principales problématiques de l’acquisition du langage sous l’angle du mouvement. Il décrit d’abord l’appropriation du langage comme ensemble de phénomènes généraux au sein desquels il s’agira de situer l’expression du mouvement. Ce faisant, il propose une caractérisation dynamique de l’acquisition du langage, et envisage les conséquences théoriques de la prise en compte de ce dynamisme. Le reste du chapitre est donc consacré à la présentation d’un cadre théorique, cette fois-ci psycholinguistique, qui tienne compte de l’ensemble des paramètres préalablement décrits.

Le deuxième chapitre expose l’ensemble des considérations méthodologiques qui ont précédé et rendu possibles nos analyses. Il part d’une présentation des données qui sont au cœur de ce travail : des suivis longitudinaux d’enfants francophones et anglophones, filmés en interaction avec l’un ou l’autre parent dès les premiers développements du langage. Nous présentons chaque enfant individuellement puis les confrontons et montrons comment ils peuvent être appariés. Nous proposons ensuite une réflexion linguistique sur la particularité de nos données et de nos outils, et sur les contraintes méthodologiques qu’ils imposent.

Le troisième chapitre reprend les hypothèses sur la précocité du mouvement à la lumière de nos données. Il décrit d’abord les premières formes d’expression du mouvement, et tente d’en évaluer l’importance à partir des inventaires du développement communicatif, puis d’une partie de nos suivis longitudinaux. L’on voit alors se dessiner des liens entre mouvement et langage, mais ceux-ci ne se limitent probablement pas à la seule expression du mouvement. Nous abordons ensuite le développement de certaines classes de marqueurs souvent repérées dans la littérature sur l’expression du mouvement et son acquisition : les premiers mots d’action, que les néo-piagétiens regroupent sous le nom de « termes relationnels dynamiques », les premiers verbes, puis les onomatopées. Nous comparons l’émergence de ces catégories en français et en anglais : nous en analysons le développement en lien avec leur fonction dans l’interaction, et prêtons une attention particulière aux effets de sens produits. L’ensemble esquisse un panorama des premières formes d’expression du mouvement relativement uniforme, y compris d’une langue à l’autre : il semble que les catégories d’analyse ne permettent pas de faire ressortir des différences majeures.

L’objet du chapitre IV est de revenir sur ces différences, qui comme nous l’avons dit concernent d’abord et surtout l’expression du déplacement : il se donne pour but de réévaluer, à partir d’analyses linguistiques approfondies, l’impact du discours adressé à l’enfant sur les premières formes d’expression du déplacement, repérées dans quatre suivis longitudinaux. L’analyse du discours adressé à l’enfant permet de souligner le rôle des contextes de production, et la possibilité de variations reflétant des choix énonciatifs différents. Et si les différences quantitatives ne sont pas très prononcées (peut-être aussi du fait de la trop petite taille de notre échantillon), cette première partie laisse entrevoir des différences dans les stratégies adoptées, plutôt que dans l’expression de types d’événements ou, au sein de celle-ci, de primitives sémantiques : ainsi par exemple, dans l’expression de la manière de mouvement, la prise en compte de stratégies compensatoires chez les mères françaises atténue considérablement les différences relevées dans la littérature. On observe des différences plus marquées dans les premières formes d’expression du déplacement chez nos quatre enfants, mais celles-ci présentent aussi, à l’examen, des similitudes remarquables.

Au terme de ces analyses, nous avons donc proposé des approches plurielles de l’expression du mouvement, et montré que chacune apporte un éclairage différent sur les premières formes utilisées par l’enfant. Cependant, si le type de catégorisation adopté nous a permis de repérer des régularités dans l’usage de certaines formes et constructions, nous n’avons pas pu considérer ensemble toutes les occurrences d’un même marqueur, et notamment sa généralisation à des contextes parfois très différents. Le dernier chapitre se penche sur le développement de l’un des premiers marqueurs utilisé par deux enfants anglophones : up, des premiers usages holophrastiques aux premières constructions. Il emmène le lecteur au-delà de la typologie sémantique, mais fait aussi ressortir l’importance de ce que nous appelons, après Culioli, une opération de localisation.