Événement spatial et activité

Ce sont donc deux types de conceptualisations différentes qui marquent la différence centrale entre les schémas de lexicalisation traditionnellement opposés en français et en anglais (cadrage verbal vs satellitaire). En français, une lecture en termes d'activité est induite par la présence d'un verbe lexicalisant la manière de mouvement suivi d'un groupe prépositionnel –qui sera alors interprété comme indiquant une localisation, alors que la même structure en anglais se prête à une lecture en termes de déplacement et/ou de résultat.

A l’évidence, les exemples a et b sont loin d’être équivalents :

(8)a-Ils ont nagé dans la grotte (toute la journée).

b-They swam into the cave.

c-Ils ont pénétré dans la grotte à la nage.

d-They spent the whole day swimming in the cave.

La ressemblance structurelle entre a- et b- est trompeuse, puisque la version française (8) a- désigne une activité pratiquée dans un lieu déterminé, alors que la version anglaise (8) b- se focalise sur l’entrée dans le lieu, et pourra être rendue en français à l’aide d’un circonstant de moyen ou de manière, comme illustré en (8) c-. Inversement, si la distinction entre activité et événement est moins évidente en anglais (Pourcel & Kopecka, 2005 : 143), elle sera rendue par le caractère optionnel de l’expression de la trajectoire, ainsi que par des marques aspectuelles comme (be+) –ING dans l’exemple (8) d-.

Dans les exemples canoniques d’expression du déplacement en français, le verbe exprime la trajectoire, et le syntagme prépositionnel désigne le point final du mouvement :

(9)a-Il est entré dans le temple.

b-Le pape s’est rendu à Paris.

c-Elles sont finalement allées jusqu’à Venise.

Comme les verbes de manière de mouvement n’expriment pas la trajectoire, les constructions équivalentes à (8) b- seraient impossibles en français. Les contre-exemples sont certes nombreux (nous empruntons les deux derniers à Kopecka & Pourcel, 2005), mais on remarque qu’ils sont toujours tributaires de contextes particuliers, qui rendent nécessaire l’expression de la manière de mouvement :

a-Il a couru sous le préau se mettre à l’abri.

b-La voiture a glissé dans le fossé.

c-La balle a roulé sous la table.

En fait c'est l'interprétation du syntagme prépositionnel qui diffère (Aske, 1989 ; Pourcel et Kopecka, 2005). Et cette interprétation n’est possible qu’à condition que le procès décrit par le verbe implique un déplacement, d’où l’importance de contextes particuliers qui bloquent la lecture en termes d’activité. Parmi ces éléments contextuels, Fortis (2007) souligne que certains sites sont plus difficilement interprétables (ou concevables : ici aussi, on observe une interaction du linguistique et du cognitif) comme lieu ou cadre du procès : ce serait le cas par exemple du fossé, en (10) b-. Pourtant, dans l’exemple (8) a-, la grotte est aussi un lieu bien défini et borné, ce qui pourrait encourager une lecture en termes de franchissement de frontières, et donc événementielle, ponctuelle. La condition principale semble bien être l’expression du déplacement, qui doit être intégrée à la sémantique du verbe puisque, sauf cas exceptionnels, elle n’entre pas dans le sémantisme des prépositions françaises –nous reviendrons à plusieurs reprises sur ce point qui nous semble d’une importance capitale.

Il importe en tout cas de remarquer que cette condition n’est pas nécessaire en anglais, où le syntagme prépositionnel ou adverbial semble affecté par défaut à l’expression du déplacement. On le voit bien à travers l’usage possible de verbes de manière évoquant la sensation et/ou les moyens mis en œuvre pour obtenir un résultat, et n’impliquent pas de déplacement (nous empruntons les trois derniers exemples à Aske, 1989 : 3)

(11) a-There are now security guards posted that will shush them away .

b-They squeezed through the crack.

c-I twisted the cork out of the bottle.

d-I grabbed the book off the shelf.

Ces premiers éléments de comparaison montrent déjà la complexité de la construction du sens spatial (Kopecka, 2009 : 70), et par conséquent l’importance d’analyses qualitatives dans la description du fonctionnement de chaque langue. Il faut souligner aussi que la comparaison inter-langue s’attache à un type d’événement, c'est-à-dire à un type de conceptualisation, qu’il importe de bien circonscrire : c’est véritablement si l'on considère la façon dont le français et l'anglais expriment le déplacement, que les structures utilisées ne sont plus les mêmes.