Figures et fonds

L’une des différences que nous venons d’isoler concerne les syntagmes prépositionnels en français : leur interprétation par défaut se fait en termes de localisation, elle est donc statique.

Le groupe prépositionnel introduit le lieu dans lequel se déroule l’action, ou FOND sur lequel se dessine la trajectoire du mouvement : en français, cet élément serait donc plus fréquemment exprimé. Conjointement, si l’anglais privilégie l’expression de la trajectoire, il doit mettre plus en avant la FIGURE qui se déplace. Cette tendance des langues à cadre verbal à encoder préférentiellement le fond, alors que les langues à satellites privilégient la figure, a été suffisamment remarquée (voir par exemple Berman et Slobin, 1994 : 119 ; Khalifa, 2001 ; Lemmens, 2005). Ici encore, la recherche d’équivalences de traduction permet de montrer que la construction d’un repère statique répond à des contraintes propres au français, qui doit construire un repère (ou une série de repères successifs) auxquel(s) rapporter le mouvement, là où l’anglais précise successivement les éléments d’une trajectoire unique (voir Khalifa, 2001 : nous lui empruntons l’exemple ci-dessous, tiré d’une nouvelle de Jane Gardam, The Weeping Child, 1996)

(12) a-On the aeroplane she spoke to no one, sometimes looked out of the window and often at her watch, and dropping down and down at last through the bright air to the coconuts and coral (…)

b-Dans l’avion elle n’adressa la parole à personne, elle regardait de temps à autre par la fenêtre, et sa montre, souvent ; et tandis qu’enfin l’avion amorçait sa descente dans l’air ensoleillé, se rapprochant des cocotiers, des coraux (…)

L’exemple (12) a- montre bien que déroulement successif d’une seule et même trajectoire peut se dire en anglais par un seul verbe exprimant la manière de mouvement, complété par plusieurs satellites, ce que ne permet pas le français. Le syntagme prépositionnel « dans l’air ensoleillé » neutralise la trajectoire pour établir un repère spatial qui n’a pas d’équivalent en anglais, où l’expression du fond est très liée à celle de la trajectoire (et donc ici de ses portions successives). Conséquence de cette préférence pour l’encodage d’un repère statique : l’expression de l’état résultant serait aussi préférée à celle de la trajectoire. Ici encore, le français doit choisir alors qu’il existe en anglais des schémas de fusion.