3.1.1. Perception et production

Sur le plan perceptif, on sait aujourd'hui que bien avant la naissance, l’enfant reconnaît et manifeste une préférence pour la voix de sa mère, et que dès le quatrième jour, un bébé distingue sa langue maternelle d'une langue étrangère (de Boysson Bardies, 1996). Il manifeste aussi une sensibilité aux indices prosodiques (rythme, durée, hauteur) et aux contrastes phonémiques.

Les premières productions vocales évoluent elles aussi très vite : les cris du nouveau-né, d’abord produits par une contraction spontanée, acquièrent grâce à l’interprétation qu’en fait l’adulte une fonction d’appel, puis se différencient en marques d’étonnement, ou de satisfaction. Au bout de cinq à six semaines, le bébé se met à roucouler après avoir été nourri, il gazouille en se réveillant.

‘« Sur tous ces points, on peut souligner avec J. S. Bruner l’importance certes, d’une communication utilitaire, mais aussi, inversement, celle d’une activité qu’on peut appeler jeu ou source de plaisir, ainsi que l’imitation comme source propre de satisfaction et le fait qu’on va " de la communication au langage " et non pas le contraire. » (F.François, 1977 : 31).’

Les développements ultérieurs vont de pair avec celui des interactions de l’enfant avec son environnement. Entre 3 et 8 mois, le bébé commence à se tenir assis, il suit son environnement du regard plus ou moins facilement, ses mains saisissent et lâchent des objets, il reconnaît les visages et les émotions. Le babil augmente et présente une grande diversité : reprise en écho de certaines syllabes, réduplications, qui permettent une exploration du système syllabique de la langue. L’enfant produit alors des enchaînements complexes qu'un adulte a bien du mal à imiter. D’une manière générale, l’enfant manifeste très tôt une étonnante capacité d’imitation de tous comportements vocaux (hauteur de voix, durée des vocalisations peu à peu contrôlée) qui va s’enrichir et se préciser régulièrement. Mais il articule aussi des sons qu'il va bientôt perdre : chez les francophones, il est fréquent d’entendre le /r/ très tôt (les premiers arheu, avec des sons glottaux, souvent dans les premiers mois) puis de voir un enfant le perdre jusqu'à plus de deux ans (Boysson-Bardies, 1996).

Ensuite le babil décroit, la variété n'est plus la même. Elle se restreint à quelques alternances consonne voyelle qui correspondent à une exploration systématique des combinaisons syllabiques de la langue maternelle. Les contours mélodiques, eux aussi, ressemblent de plus en plus à ceux de la langue qu’on adresse à l’enfant. Il comprend certains énoncés en contexte. Et ce sont les premiers mots qui arrivent.

Des travaux récents ont souligné la continuité entre babillage et premiers mots, contredisant ainsi les hypothèses de Jakobson (1968) qui faisaient de la distinction des contrastes phonologiques le trait distinctif des productions langagières. On constate tout d'abord que le babillage continue alors même que l'enfant a déjà commencé à produire des mots, et cela jusqu'à l'âge de deux ans ou deux ans et demi (Robb, Bauer & Tyler, 1994). De plus, des similitudes ont pu être repérées entre les séquences sonores produites dans le babillage et celles qui constituent les premiers mots (Oller et al. 1976, Elbers et Ton 1985). Enfin, l'enfant qui babille se sert déjà de contours intonatifs qui marquent ses premières requêtes ou rejets (Clark, 2003 :103), ce qui montre bien que le babillage n'est pas uniquement une activité ludique et exploratoire. Ce constat nous invite à penser le « mot » 10 comme unité sensorielle et sonore, dont la production est une construction graduelle.

Notes
10.

Nous avons gardé le terme de « mot » qui correspond aux travaux cités ici, mais auquel les théories basées sur l’usage ont très justement suggéré qu’il faudrait substituer celui de « construction » : cette suggestion nous semble d’autant plus pertinente que le découpage en mots est loin d’être toujours la règle dans les premières productions langagières.