3.1.3. Pour une conception dynamique de l’acquisition du langage

Nous espérons avoir donné, en creux, un aperçu de la dimension dynamique des premières acquisitions. Dynamisme qui est d'abord celui de l’enfant qui apprend, et entre ainsi dans des routines motrices (contrôle articulatoire) tout autant que langagières (sociales, pragmatiques). Il apprend par exemple que les premières constructions qu’il repère (mots ou groupes de mots non encore segmentés), ces complexes sensoriels, moteurs et sémantiques, constituent l'unité d'action adoptée par la communauté des locuteurs qui l'entourent (Bottineau, 2008).

Dynamisme des situations d’apprentissage, dont nous avons souligné la dimension interactive : l’enfant est toujours l’un de ces acteurs, et il apprend très tôt à se positionner en fonction de ses co-énonciateurs et de la situation d’interlocution. Ces ajustements permanents sont peut-être en partie responsables des variations observées non seulement d'un enfant à l'autre (cf. infra, 4.2.1, et chapitre II), mais aussi chez un même enfant lorsque les contextes varient (Choi, 2000 ; Turkay, Kern & Rossi, 2008). L'acquisition du langage n'est donc pas linéaire, elle désigne un ensemble de phénomènes variables, mouvants car toujours susceptibles d'être remis en cause.

Dynamisme, enfin, de l’environnement même dans lequel l’enfant se développe : on peut ainsi suggérer que les premières acquisitions soient ancrées dans l’attention particulière que prête l’enfant aux éléments saillants d’un monde en mouvement (Werner & Kaplan, 1963: 164 ; Spelke, 1998; Landau & Zukowski, 2003; McCune, 2006). A titre d’exemple, une étude de Werker, Cohen, Lloyd, Casasola & Stager (1998) a montré à partir d'une tâche d'apprentissage associarif que les enfants de 14 mois appliquaient les mots entendus aux éléments en mouvement plutôt qu'aux choses statiques. Nous reviendrons sur ce point afin de préciser les implications possibles d'un tel ancrage (chapitre III).

Ce dynamisme que nous soulignons s'apparente à la proposition holistique et antiréductionniste de McNeill (2005 : 4) qui, dans la lignée des travaux de Vygotsky, se veut ancrée dans l'action et dans l'expérience du monde :

‘"To cope with signs is not to cope just with them but also with the whole interconnected pattern of activity in which they are embedded" (2005: 100)’

McNeill remarque que cette dimension dynamique n'a été que bien peu prise en compte dans la perspective saussurienne, qu'il dit statique, et dont il souligne qu'elle a influencé la plupart des travaux de linguistique et de psycholinguistique du vingtième siècle (2005 : 63). L’analyse linguistique, qui consiste peut-être avant tout à distinguer des niveaux et à catégoriser, nous éloigne-t-elle alors de ces dimensions primordiales ? Nous donnons dans ce qui suit un aperçu de ce que les théories linguistiques peuvent contribuer à l'étude de l'acquisition du langage, afin de voir si (et le cas échéant, comment) elles modifient notre questionnement.