3.2.2. La syntaxe : expliquer les premières combinaisons

La syntaxe désigne les principes et les règles régissant l’organisation de l’énoncé : les liens entre ses différents constituants peuvent être marqués par l’ordre des mots, et/ou par la morphologie. S’intéresser à l’apprentissage de la syntaxe d’une langue maternelle revient donc d'abord à considérer les premières combinaisons présentes dans les énoncés enfantins et leurs modes de structuration successifs. C'est cet intérêt proprement linguistique pour les premiers types de structuration de l'énoncé qui a permis de mettre en lumière une étape importante de l’acquisition du langage : le moment où l’enfant commence à combiner plusieurs termes. On situe en général cette étape vers le milieu de la deuxième année, au moment où l’on observe aussi une « explosion lexicale » (accélération du rythme d’acquisition du vocabulaire après les premiers 50 mots).

On observe dans un premier temps des modes d’articulations entre unités qui ne sont pas à proprement parler syntaxiques, au sens où il n’y a en apparence pas de procédé spécialisé de mise en relation. Les chercheurs ont cependant souligné l’existence d’une continuité entre ces « grammaires à deux termes » (François, 1977) et la syntaxe. En analysant les premiers modes de structuration des énoncés (qu’il s’agisse de combinaisons de mots ou d’articulations mot + geste) on peut distinguer trois grandes étapes précédant et construisant l’accès à la syntaxe (Tomasello & Brooks 1999).

1- Les holophrases (de Laguna, 1927) ou énoncés à un mot : l’enfant utilise un seul mot ou symbole linguistique pour parler d’une scène vécue. Par exemple :

On voit que le choix des marqueurs utilisés de manière holophrastique n’est pas anodin : dans le premier cas l’agent (le livre, auquel on prête un degré d’agentivité suffisant pour qu’il puisse se cacher) est effacé au profit de l’action, dont on met en avant le résultat ; alors que dans le deuxième exemple l’enfant se focalise sur l’objet de sa demande.

2- Les pivots (Braine, 1976) : combinaisons sans syntaxe, marquent ensuite un début de distribution des différentes composantes d’une scène sur des éléments lexicaux distincts : par exemple ici la possession et la localisation.

Danon-Boileau & Morgenstern (2009) ont montré qu’il existe une continuité entre ces deux étapes, non pas au sens où il y aurait une relation prédicative implicite dans les holophrases (comme le proposait de Laguna) mais parce que la prédication se construit d’abord en dialogue, à travers les reprises et étayages adultes qui déjà associent un thème ou sujet implicite aux énoncés de l’enfant. Il faut donc accorder une attention particulière, dès les premières productions, aux reformulations proposées par les mères, et à ce qui est repris par l’enfant.

3- Les constructions « figées » mais avec début de marquage de rôles syntaxiques

Nous avons présenté ici un type d’approche11 qui montre que l’étude de l’évolution du langage sous l’angle de la syntaxe permet de dégager des étapes et d’apercevoir une continuité au sein des premières productions langagières. Cette continuité nous intéresse particulièrement, car elle est liée à la mise en mots d’événements, dont une partie au moins peut être analysée en termes d’événements spatiaux, mettant en jeu le mouvement. La référence au résultat dans des énoncés comme holophrastiques comme « caché » implique un changement d’état, donc un déplacement (littéral ou métaphorique). Et si les énoncés holophrastiques permettent aussi à l’enfant de désigner et de nommer des objets immobiles, comme la coccinelle dans l’exemple suivant, il est remarquable que ce sont les termes qui ne désignent pas des états ou choses stables mais des changements et/ou résultats qui servent de pivots. Les débuts de la prédication sont ainsi liés à la prise en compte, dans l’ordre du symbolique, d’un monde en mouvement. Bruner propose même que la prédication commence lorsque l'enfant joue à appliquer au même objet différentes actions, ou transfère une même action à des objets différents : il appelle ces jeux des « précurseurs de prédication » (1983 : chapitre 5).

D’autre part, les premières combinaisons constituent des constructions non canoniques qui souvent n’ont pas été prises en compte dans l’analyse des premières formes d’expression du mouvement. L’un des objectifs de ce travail sera de montrer si elles correspondent à un moment charnière : il se pourrait par exemple que les contraintes de la langue cible y soient moins prises en compte que celles énoncées ci-dessus, correspondraient alors à des déterminants généraux, sinon universels ?

Notons, pour finir, que parler de prédication, puis de constructions appelées à devenir peu à peu productives, plutôt que de dire, par exemple, qu'une opposition verbo-nominale est entrain de se mettre en place, n'est pas neutre. Cela revient à considérer la mise en place de fonctions syntaxiques sans suggérer que l'enfant dispose d'une première forme de catégorisation noms/verbes. Pourquoi prendre cette précaution?

Notes
11.

que l’on peut qualifier de constructiviste, nous y revenons dans ce qui suit.