Les enfants du corpus de Paris

Madeleine est née le 14 avril 2005, et a une grande sœur de neuf ans et demi son aînée, ainsi qu’un petit frère qui naît à la fin des enregistrements considérés ici. Elle est gardée au domicile quatre jours par semaine et elle commence à aller à l’école maternelle vers la fin des enregistrements. Madeleine a été filmée tous les mois au domicile de 0;10 to 3;03 par Martine Sekali, et les enregistrements ont été transcrits dès la production des premiers mots, soit de 1 ;00 à 3 ;03.

Théophile est né le 04 juillet 2005, et est fils unique au moment des enregistrements. Il a été filmé tous les mois au domicile (Levallois, région parisienne) par Aliyah Morgenstern, de 0 ;07 à 3 ;03. Comme pour Madeleine, les enregistrements ont été transcrits de 1 ;00 à 3 ;03.

Le développement langagier de ces deux enfants, les premiers à être filmés dans le cadre des projets Léonard puis CoLaJe, a été amplement décrit et analysé par plusieurs équipes de chercheurs aux intérêts distincts. Nous reproduisons ici les portraits attentifs qu’en donne A.Morgenstern, où se dessinent deux profils bien distincts :

‘« Théophile […] est un petit garçon très moteur, bricoleur, joueur plein de curiosité envers le monde physique qui l’entoure, à la recherche des expériences les plus diverses. Il lui est impossible de manger sans chercher à voir si les différents aliments peuvent s’empiler, de prendre le bain sans faire toutes sortes d’expériences avec l’eau, de se changer sans ouvrir et fermer tous les flacons qui se trouvent à sa portée. A 2;1 […] son langage a la particularité de comporter peu de lexique (une quinzaine de mots différents en tout et pour tout dans les derniers enregistrements, dont la plupart sont sous forme de réduplication onomatopéique « ouah ouah » pour tous les animaux, « pik-pik » pour les ciseaux, « miam-miam » pour la nourriture ou manger) mais des marques morphologiques déjà claires. Il dit « boum » et « boumé » (pour « tombe » et « tombé »), il détermine le mot « pik-pik » avec « apik-pik », « les pik-piks », « mes piks piks », « des piks piks ».
Madeleine est filmée par Martine Sekali. C’est une petite fille qui a très rapidement investi le langage et qui est très agréablement « bavarde ». Elle a un développement linguistique assez spectaculaire avec des termes très précis comme « délicieux » pour qualifier ce qu’elle mange ou « recommence » là où un autre enfant dirait « encore ». À la fin des enregistrements étudiés ici, à 2;2, elle a un lexique très étendu, des marqueurs grammaticaux variés, prépositions, conjonctions, déterminants. Elle maîtrise plusieurs temps et aspects, fait des phrases complexes, des récits, des explications assez sophistiquées, des plaisanteries. » (Morgenstern 2009 : 87 & sq.)’

 Les mères de Madeleine et de Théophile constituent aussi deux exemples marquants de différences que l’on peut rencontrer dans le discours adressé à l’enfant (Leroy, Morgenstern & Caët, 2010) : la mère de Madeleine lui adressant une langue cible adulte très peu modulée, et chargée de formules de politesse qui complexifient l’énoncé :

La mère (qui s’adresse à Madeleine):Tiens tu voudrais montrer à, à Martine comment tu joues d(e) la flûte ?

L’observatrice:Tu joues d(e) la flûte ?

La mère:Tu veux qu' j'aille chercher la flûte ?

Séquence 4 : La mère de Madeleine (1 ;06) lui adresse des énoncés complexes et polis.

Preuve s’il en fallait de l’impact d’un tel discours, Madeleine produit très tôt des formes polies, et l’on voit ici qu’elle produit dès deux ans un énoncé relativement long et complexe.

Madeleine (à l’observatrice) :ə@fs voudrais un café ?

/ə vudɛ œ͂ kafe/.

L’observatrice:Oui j(e) veux bien un café.

Madeleine:Pour toi ?

/pu twa/

Séquence 5 : Le premier « voudrais » de Madeleine (2 ;01)

La mère de Théophile, en revanche, s’adapte énormément aux productions de son enfant, et les premiers mots de Théophile ont été adoptés par les parents :

Le père:Il faudrait lui couper là, parce que ...

La mère:Et ça… Tick !

Le père:Parce que, euh il ...

La mère :J'adore, c'est la tick.

La mère:Ticktick, c'est le verbe couper.

L’observatrice:Ouais.

La mère:Tout à l'heure je lui dis chez l(e) pédriatre, j(e) lui dis viens on va s(e) couper les ongles Théophile et euh il a fait « ticktick » !

Séquence 6 : La mère de Théophile et ses « ticktick » (Théophile 1;11.25)

Nous avons également analysé les contextes des premières productions de deux autres enfants du corpus de Paris (chapitre III), que nous présentons brièvement ici.

Anaé est née le 24 juillet 2006, elle a deux frères de trois et sept ans ses aînés, et est gardée par une assistante maternelle quatre jours par semaine à partir de quatorze mois. Elle a été filmée au domicile (région parisienne) par Aliyah Morgenstern, à raison d’une heure par mois. Anaé a produit ses premiers mots à 1 an et marché à treize mois, mais pour l’instant les enregistrements n’ont été transcrits que de 1;6 à 3;5.

Antoine est né le 10 avril 2006, fils unique au moment des enregistrements, et gardé par une assistante maternelle cinq jours par semaine. Il a été filmé par Christophe Parisse et les enregistrements ont été transcrits de 1;5 à 2;9.

Tous les enfants présentent des caractéristiques communes : il s’agit d’enfants de classe moyenne, dont les parents sont a minima intéressés par le développement du langage de leur enfant, parfois même linguistes ou enseignants. Il existe cependant des différences dans le style des mères, qui ne sont pas uniquement liées à la classe sociale, et qu’il est difficile de décrire à grands traits. Nous avons relevé ici les différences lorsqu’elles nous avaient frappée d’emblée, mais reviendrons sur certains aspects dans ce qui suit.