Production de mots

Comme la tranche d’âge (de 24 à 45 mois), ainsi que le nombre de participants (13 pour chaque langue dans les analyses statistiques, ibid, p.254), sont assez limités dans cette étude pilote, et que le français du Québec présente certaines particularités notoires (ibid, pp.252-253) nous avons reproduit les analyses de Thordardottir en utilisant les données issues du récent étalonnage des inventaires du développement communicatif français (Kern & Gayraud, 2010) et celles de Dale & Fenson (1996) pour l’anglais20.

Figure 3 : Nombre moyen de mots produits de 8 à 16 mois (source CDI clex + Kern & Gayraud, 2010)
Figure 3 : Nombre moyen de mots produits de 8 à 16 mois (source CDI clex + Kern & Gayraud, 2010)
Figure 4 : Nombre moyen de mots produits de 16 à 30 mois (source CDI clex + Kern & Gayraud, 2010)
Figure 4 : Nombre moyen de mots produits de 16 à 30 mois (source CDI clex + Kern & Gayraud, 2010)

On retrouve bien, à âge égal, un nombre moyen de mots produits plus important chez les enfants de langue anglaise. Il se pourrait cependant que cette différence s’explique par une tendance à surévaluer la production de noms –ou production référentielle- de l’enfant, plus prononcée chez les mères américaines, en raison aussi d’une plus grande proportion de noms dans les inventaires américains que dans les inventaires français (Bloom et al. 1993, Pine 1992 ; Pine, Lieven & Rowland, 1996). D’autres études suggèrent pourtant qu’il s’agisse d’une style conversationnel lié à certaines dimensions culturelles ainsi qu’aux caractéristiques de la langue : ainsi les mères américaines auraient tendance à mettre plus en valeur les noms que les verbes en interaction spontanée avec l’enfant, alors que dans des interactions en mandarin on observe la tendance inverse, et que les proportions seraient plus équilibrées dans une langue pro-drop comme l’italien-avec une légère préférence pour les noms tout de même (Tardif, Shatz & Naigles, 1997). Ce dernier point n’a jamais été évalué sur un nombre suffisamment important d’interactions spontanées en langue française pour que nous puissions nous positionner, mais il nous semble que les mères françaises ont, elles aussi, tendance à insister sur la dénomination, et d’autant plus peut-être que les interactions sont filmées à dans le cadre d’un projet scientifique (cf. chapitre III, section 3.2.2 pour une analyse plus détaillée de cette tendance, assortie d’exemples). De plus, dans une comparaison trans-linguistique du style des mères dans trois contextes interactionnels différents (Turkay, Kern & Rossi, 2008), nous avons montré que les mères françaises produisaient significativement moins d’énoncés orientés vers l’action que les mères turques, quel que soit le contexte. Cependant, nous avons aussi constaté que dans l’ensemble, il n’existait pas de différence significative entre les énoncés orientés vers l’action et les énoncés orientés vers les objets chez les mères françaises, ce qui suggère que le comportement verbal des mères françaises soit plus proche de celui des mères italiennes observées par Tardif et al. (1997)21. Surtout, dans l’étude de Choi (2000) dont les analyses sont en tout point comparables aux nôtres, les mères américaines utilisent significativement plus d’énoncés orientés vers les objets non seulement dans le contexte de lecture de livre, ce qui est aussi le cas des mères françaises de notre étude, mais aussi dans le contexte de jeu, différant en ceci des mères françaises.

Considérons à présent les mesures dont nous disposons pour les enfants français et américains de notre étude, en tenant compte d’une possible sur représentation dans les inventaires américains. Nous avons ajouté des courbes de tendance pour représenter les scores des enfants pour lesquelles les données étaient en partie lacunaires. Les mères des enfants du corpus de Paris n’ont pas rempli d’inventaires.

Figure 5 : Nombre de mots recensés sur les inventaires du développement communicatif, mots et gestes.
Figure 5 : Nombre de mots recensés sur les inventaires du développement communicatif, mots et gestes.
Figure 6 : Nombre de mots recensés sur les inventaires du développement communicatif, mots et phrases.
Figure 6 : Nombre de mots recensés sur les inventaires du développement communicatif, mots et phrases.

Les différences interindividuelles semblent l’emporter nettement sur les différences inter-langues, et les courbes font apparaître des rythmes différents, avec une progression d’abord lente puis exponentielle chez Violet et Marie, par exemple.

Notes
20.

Librement accessibles en ligne sur le site CLEX : http://www.cdi-clex.org/

21.

Même si nos analyses ne sont pas entièrement assimilables à celles qui se fient uniquement à la production de verbes vs. noms.