Importance des différences interindividuelles

C’est peut-être l’un des apports majeurs des approches fonctionnalistes de l’acquisition du langage (Bates & MacWhinney, 1979), ainsi que de toutes les approches basées sur l’usage (Richard, 1990), que d’avoir souligné l’importance des différences individuelles, et leur impact sur notre compréhension du développement. Les spécificités de trajectoires développementales différentes, et la variabilité, sont autant d’aspects dont on sait désormais qu’ils sont tout aussi dignes d’intérêt que les indices globaux : certains auteurs recommandent donc de leur accorder une attention toute particulière (Hoff, 2006 ; Nelson, 2007). Prendre en compte la variation, c’est considérer non seulement les caractéristiques formelles de langues différentes et le traitement qu’en fait l’enfant, mais aussi et surtout l’existence de styles conversationnels et interactionnels différents, dont on peut supposer qu’ils s’accompagnent d’un degré de variation contextuelle.

Ainsi par exemple, les différences d’usages que font apparaître les analyses de corpus en termes de fréquence ont apporté un soutien empirique considérable à de telles hypothèses (Gries, 2008, Schmidtke-Bode, 2009) : ainsi par exemple la fréquence des colocations de going to a révélé, chez les parents de deux enfants anglophones (Adam & Sarah, corpus de Brown), une tendance à omettre le sujet et l’auxiliaire be pour produire des énoncés tronqués comme (Schmidtke-Bode, 2009 : 517) :

(17) La mère : Going to give it to Robin? (Adam 3;0.11)

Et l’analyse révèle que ces énoncés sont produits en réponse à des productions semblables de l’enfant. Ces échos révèlent une particularité des échanges adultes-enfants : ils font l’objet d’un ajustement constant, qui peut aussi modifier les productions adultes. Nous revenons sur la nécessité de prendre en compte ces différences dans ce qui suit (ci-dessous, 3.3.2.)

Nous avons désormais établi la relative comparabilité des données, et obtenu grâce aux indices ci-dessus une idée de certains écarts dont nous tiendrons compte dans ce qui suit (ils concernent principalement la plus grande richesse et relative complexité des productions de Madeleine et de Naima). Pour la comparaison des enfants, nous substituerons donc à l’âge, dont on a vu qu’il faisait ressortir des variations parfois importantes mais aussi parfois des rythmes différents, un appariement sur la base de l’indice de diversité lexicale et la longueur moyenne d’énoncés en mots. Mais il importera aussi et surtout de ne pas négliger les différences stylistiques et interactionnelles éventuelles, qui ne sont peut-être pas réductibles aux caractéristiques typologiques du français et de l’anglais. Nous nous interrogerons sur ces différences à plusieurs reprises au cours de nos analyses.