3.2.2..Analyses quantitatives et qualitatives

Si l’examen attentif des usages en contexte est essentiel, c’est aussi parce qu’il importe de distinguer, autant que possible, ce qui est réellement construit par l’enfant et ce qui est le produit des catégorisations projetées par le chercheur. En effet, si l’on accepte les hypothèses constructionnistes (cf. chapitre I, et par ex. Tomasello, 2003), l’enfant ne dispose pas d’emblée de notions grammaticales, et doit catégoriser l’input en exploitant l’information livrée par le contexte. Prêter une attention particulière au contexte de l’interaction, c’est donc aussi rester au plus près de la démarche de l’enfant. L’idéal serait que les catégorisations du chercheur concordent avec les « catégories émergentes » que l’on observe chez le tout jeune enfant (Clark, 2001) sans être pour autant des catégories ad hoc. La combinaison d’une analyse linguistique et d’un examen quantitatif minutieux doit permettre sinon d’atteindre, du moins d’approcher cet idéal.

Nous proposons que ce va-et-vient soit opéré non seulement en amont des comptages statistiques, mais aussi qu’une fois les premiers résultats quantitatifs obtenus, on procède à un réexamen des productions repérées afin de comprendre ce qui se joue dans l’interaction. C’est ainsi que nous avons procédé, et l’analyse de micro-séquences nous a permis de mettre en évidence la fonction pragmatique des premières prépositions chez les enfants francophones (Kochan, Morgenstern, Rossi & Sekali, 2007).

Figure 16: Une micro séquence
Figure 16: Une micro séquence

On voit ici que face à l’incompréhension des parents, la préposition « pour » permet à l’enfant de lever l’ambiguïté en explicitant l’argument du verbe « donner ». En répliquant ce type d’analyses sur un ensemble de micro séquences, nous avons fait l’hypothèse d’une organisation des premières prépositions, catégorie grammaticale émergente, en paradigme pragmatique, autour des fonctions de désambiguïsation, d’argumentation ou de positionnement interpersonnel. Cette hypothèse propose un type d’explication au constat de ce que l’usage que font les enfants francophones des prépositions ne montre pas de primauté du spatial : elles permettent plutôt une « grammaticalisation de l’espace relationnel » (Morgenstern, Parisse & Sekali, 2010).

Au terme de cette analyse préliminaire, les problèmes rencontrés au cours du codage ont trouvé une réponse grâce à l’analyse détaillée de micro-séquences, qui permettent de considérer l’élaboration en dialogue d’un sens mettant en jeu conjointement des dimensions spatiales et fonctionnelles.