1. Introduction

Si le mouvement constitue une porte d’entrée particulière dans notre compréhension de l’acquisition du langage, c’est peut-être d’abord en vertu de sa saillance pour l’enfant. Nous avons vu qu’une grande partie des premières constructions perceptuelles et conceptuelles en découlaient, et que celles-ci pourraient bien être aussi à l’œuvre dans les premiers développements langagiers. Cependant, l’articulation précoce de cet intérêt pour un monde en mouvement et du langage n’a rien d’évident.

L’objet de ce chapitre est d’interroger les premières productions langagières d’enfants francophones et anglophones, en lien avec le mouvement. De nombreux travaux montrent que l'expression linguistique d'une trajectoire verticale, et/ou orientée vers un but, est précoce (Bloom, 1973 : 70 ; McCune-Nicolich 1981 : 18 ; Nelson, 1974 : 281). Cependant, comme le font remarquer Choi & Bowerman (1991 : 103), tous ces travaux portent sur la langue anglaise, et principalement sur l'acquisition des particules up et down. La comparaison inter-langue, qui a permis de souligner que les dimensions spatiales ne constituaient qu’une couche de sens, et que celle-ci n’était pas nécessairement centrale, montre aussi les limites d’une transposition trop directe, d'un concept (par exemple celui de mouvement vertical) issu de la cognition prélinguistique aux productions langagières.

Nous commencerons donc par chercher au sein des premières productions langagières la trace et le rôle du mouvement perçu. Nous analysons alors l’évolution de deux catégories des versions américaine et française des inventaires du développement communicatif (Fenson et al ., 1993 ; Kern, 2006), puis les productions spontanées d’enfants francophones du corpus de Paris. Nous verrons que si les points de convergence sont nombreux, ils permettent davantage d’évaluer le lien entre mouvement perçu et langage que d’étudier l’expression du mouvement proprement dite.

Les difficultés que rencontrent les enfants dans l'apprentissage des verbes (Gentner 1982, Childers et Tomasello, 2006), qui précisément servent à encoder de nombreux aspects des événements, dans des langues différentes (et dont il serait par conséquent difficile d’extraire l’invariant « action », voir par exemple Golinkoff et al., 2002; Golinkoff & Hirsh-Pasek, 2008) suggèrent aussi que l’articulation du mouvement au langage ne soit pas aussi simple et directe. Nous reviendrons dans la seconde partie de ce chapitre sur les problèmes posés par l’acquisition de « termes relationnels » conçus comme la transposition linguistique des schémas sensori-moteurs, avant de considérer l’acquisition des prépositions et/ou particules, des premiers verbes, et des onomatopées.

Nous montrerons alors que l'articulation de la reconnaissance perceptuelle à la production langagière ne va pas de soi, parce que le langage ne se contente jamais de décrire ou de reproduire le réel perçu. En analysant l’évolution de ces familles de marqueurs dans nos données, nous soulignons aussi les problèmes que pose un tel découpage.