2.3. Le mouvement, trait sémantique dominant dans les premières productions ?

L’un des premiers problèmes auquel nous avons été confrontée lorsque nous avons commencé à analyser les suivis longitudinaux a été celui de l’interprétation des premières productions, en lien avec l’expression du mouvement. Comment repérer le mouvement, c’est-à-dire comment affirmer de manière certaine que l’enfant parle du mouvement, alors même que l’organisation de l’énoncé ne permet pas de disposer de repères syntaxiques (ou distributionnels) fiables ? Nous l’avons dit, les premières productions posent toujours des problèmes d’interprétations (cf supra, Bloom, 1991 : 46 ; voir aussi Brown, 1973). Lois Bloom proposait de traiter ces problèmes en donnant une interprétation qui soit la plus riche possible, c'est-à-dire qui prenne en compte tous les éléments du contexte.

‘“Evaluation of the children’s language began with the basic assumption that it was possible to reach the semantics of children’s sentences by considering nonlinguistic information from context and behavior in relation to linguistic performance. This is not to say that the inherent ‘meaning’ or the child’s actual semantic intent was obtainable for any given utterance. The semantic interpretation inherent in an utterance is part of the intuition of the child and cannot be ‘known’ with authority. The only claim that could be made was the evaluation of an utterance in relation to the context in which it occurred provided more information for analyzing intrinsic structure than would a simple distributional analysis of the recorded corpus” (Bloom, 1970 : 10).’

Cette proposition a été maintes fois critiquée depuis, pour diverses raisons sur lesquelles nous ne reviendrons pas ici, car si nous n’avons pas reproduit les catégories d’analyse de Bloom (en termes d’agents, actions, objets, localisations, propriétés etc.), c’est surtout parce qu’elles étaient très tributaires d’une théorie propositionnelle et vériconditionnelle du sens. Nous lui préférons, ainsi que nous l’avons expliqué au chapitre I, les modèles basés sur l’usage, c'est-à-dire sur un ensemble d’énoncés assortis de leurs contextes discursifs (ou environnements situationnels et linguistiques).

Dans le cadre d’une étude sur les premières formes de catégorisation liées à la production de mots (Parisse & Poulain, 2010 ; Rossi & Parisse, soumis), nous avons codé tous les mots produits par les enfants du corpus de Paris, dès leurs premières productions, en fonction de critères sémantiques et syntaxiques. Le mouvement est l’un des traits sémantiques que le codage devait nous permettre d’observer, au même titre que le caractère concret ou abstrait, animé ou inanimé, visible, manipulable ou absent des premiers objets et actions dont l’enfant parle.