2.3.2. Résultats

Les résultats que nous présentons ici concernent trois des enfants du corpus de Paris, dont nous avons analysé les premières productions, jusqu’à une longueur moyenne d’énoncés de 1,5 : nous avons donc suivi Théophile jusqu’à 1;11, Anaé jusqu’à 1;07 et Antoine jusqu’à 2;0. Nos analyses (figure 28 ci-dessous) font clairement ressortir un intérêt dominant de ces trois enfants pour les référents mobiles, ainsi que pour les routines et actions en tous genres, qui priment sur la désignation d’éléments statiques : nous avons effectué un test khi deux qui montre que les différences sont très significatives (p<0,00005)

Figure 28 : Pourcentage des premières productions exprimant le mouvement chez trois enfants du corpus de Paris, jusqu’à LME = 1,5
Figure 28 : Pourcentage des premières productions exprimant le mouvement chez trois enfants du corpus de Paris, jusqu’à LME = 1,5

On remarque, d’autre part que cet intérêt s’accompagne d’une nette préférence pour les référents ou actions concrètes, les désignations abstraites constituant seulement 22% des productions de Théophile, 20% des productions d’Antoine et 7% de celles d’Anaé. Au sein des productions liées au mouvement, cette proportion est encore plus faible, puisqu’elles constituent respectivement 10%, 15% et 5% de ces dernières, comme le montre la figure 29 ci-dessous.

Figure 29 : Pourcentage des productions exprimant le mouvement et contenant le trait abstrait vs. concret, chez trois enfants du corpus de Paris, jusqu’à LME = 1,5
Figure 29 : Pourcentage des productions exprimant le mouvement et contenant le trait abstrait vs. concret, chez trois enfants du corpus de Paris, jusqu’à LME = 1,5

Si ces résultats montrent surtout l’ancrage contextuel des productions du jeune enfant, ils permettent toutefois de confirmer que le mouvement occupe une place toute particulière dans les premiers développements langagiers. La répartition observée est d’autant plus frappante que nos analyses n’incluent pas les éléments qui, ainsi que nous venons de le montrer, confirment le plus clairement la thèse d’un ancrage socio-pragmatique du premier langage, en lien avec le mouvement, au premier rang desquels figurent les onomatopées. En effet, ce codage étant partie intégrante d’une étude sur les premières formes de catégorisation (nom/verbe), nous n’avons considéré que les mots qui pouvaient être catégorisés comme noms ou verbes dans la langue cible adulte. Le codage exclut donc, en plus des onomatopées, les éléments adverbiaux souvent analysés comme les premiers « termes dynamiques » produits par l’enfant : c’est-à-dire, et nous y reviendrons, les premiers termes qui sont utilisés pour exprimer le mouvement et le changement (McCune, 2006 ; McCune & Herr-Israël, sous presse). Ceux-ci correspondent en effet d’abord à d’autres parties du discours que les premiers verbes ou noms : il s’agira par exemple de satellites come up et down en anglais, d’adverbes comme encore ou en français. Nous analysons dans ce qui suit le contenu de cette catégorie.

Mais il importe surtout de souligner que nos résultats ne prouvent en rien l’existence d’un lien éventuel entre la conceptualisation précoce du mouvement et son expression linguistique. Car même si les premiers mots compris et produits par les enfants ont un lien avec le mouvement perçu, ils ne sont pas à proprement parler des formes d’expression du mouvement lui-même. Nos résultats confirment tout au plus les analyses de Clark (1973), qui proposait que le mouvement soit un trait perceptuel commun aux premiers objets nommés (voir aussi Bloom, 1991 : 72). Mais l’enfant parle aussi des objets qu’il nomme, il parle de son propre étonnement face à ce monde en mouvement au moins autant qu’il ne constate l’occurrence de celui-ci. Il parle aussi et peut-être surtout du changement, qui se situe à un niveau d’abstraction supérieur au seul mouvement, et n’implique pas nécessairement un mouvement visible. Ainsi par exemple pour la lumière qu’on allume : « Because the word ”light” is uttered so often upon entering a room, and the effects of flipping a light switch are so dramatic, babies often recognize ” light” as one of their first words.»(Golinkoff & Hish-Pasek, 2000 : 3).

Peut-on alors circonscrire des familles de marqueurs dont l’appropriation permettra à l’enfant d’exprimer le mouvement ? Nous consacrons la suite et fin de ce chapitre à l’analyse des catégories que la littérature désigne comme premières formes d’expression du mouvement, et aux résultats de leur confrontation avec nos données.