Remarques sur l’alternance préposition ou particule / ø

L’analyse des premières prépositions est d’autant plus délicate que les enfants commencent par les omettre :

‘« Young children often show signs of wanting to communicate about the location of objects, and before acquiring spatial morphemes they may do so simply by combining two nouns or a verb and a noun with what seems to be a locative intention […] prepositions [are thus] most often called for but usually missing.” Bowerman (1996 : 389)’

Cela s’entend bien si l’on considère, ici encore, la sensibilité de l’enfant aux éléments saillants de l’énoncé (cf. supra, voir aussi Fernald & McRoberts, 1993 ; Naigles & Hoff-Ginsberg, 1998) puisque les prépositions sont l’élément non accentué du syntagme prépositionnel. Les seules exceptions, c'est-à-dire les seules prépositions accentuées, relevées dans le discours adressé à l’enfant (Clark & Wong, 2002 : 197) concernent des reprises adressées par les mères pour corriger un énoncé produit par l’enfant (« repairs »). Dans l’exemple ci-dessous, le choix de Naomi (2;7.16) produit une confusion entre source et but de la trajectoire de chute :

Naomi: Somebody fall down.

Father: No, he doesn’t fall down yet, Nomi.

Father:He’s climbing very carefully.

Father: Oh yes, this one fell down.

Naomi: One fell down on a tree.

Father: He fell down from a tree.

Naomi: He fell down from a tree.

Séquence 14 : Extrait du corpus de Sachs (68 : lignes 334 et sq.) cité par Clark & Wong (ibid.)

De telles d’hésitations dans les productions langagières de l’enfant découragent une lecture en termes de trajectoires géométriques clairement établies et primordiales pour la construction des effets de sens, ou en tout cas l’idée qu’une telle trajectoire puisse être très tôt associée de manière univoque à un marqueur. Les omissions suggèrent, a fortiori, que le sens des premières prépositions soit indissociables de leur contexte de production, mais aussi et surtout d’autres éléments de l’énoncé.

Les prépositions spatiales se mettent ensuite en place progressivement, et certains auteurs y ont lu l’expression du désir de l’enfant de parler de configurations spatiales déjà conceptualisées et reconnues (Slobin, 1973, cité par Bowerman, 1996), Toutefois, nos données suggèrent que c’est plutôt lorsque la préposition permet de désambigüiser, et de désigner un destinataire plutôt qu’une configuration spatiale, l’enfant reformule et c’est bien la préposition qui joue ce rôle (voir aussi Sekali & Morgenstern, 2009) :

(17) William (2;06.10) : this is the digger -that’s for the digger.

En définitive, le caractère extrêmement difficile à cerner des prépositions dans les données d’acquisition du langage37, ainsi que les limites évidentes des équivalences qu’elles permettent de faire ressortir, suggèrent qu’elles ne constituent pas une catégorie productive dans le langage du jeune enfant. On pourrait ainsi reprendre, mutatis mutandis, la remarque d’Eve Clark (2003 : 87) à propos des premiers noms « Can we reliably assume that what are [prepositions] for adults are also [prepositions] for children? 38  ». Nous espérons avoir montré que c’est l’analyse des usages de marqueurs en contexte, et non leur appartenance à une catégorie grammaticale39, qui permet de faire ressortir des correspondances fonctionnelles.

Notes
37.

C’est peut-être d’ailleurs ici que l’analyseur syntaxique de CLAN (les programmes MOR et POST) produit le plus d’incohérences. Par exemple si down pourra être analysé comme particule ou verbe, et désambiguïsé sur cette base, tel n’est pas le cas de up.

38.

Nous remplaçons, entre crochets, les noms mentionnés par Clark par les prépositions, catégorie qui nous occupe ici.

39.

Nous avons vu que ces catégories, telles qu’elles s’illustraient dans les premiers énoncés de l’enfant, n’étaient pas de nature syntaxique : on peut toutefois accepter qu’elles fassent partie de la grammaire adulte, et à ce titre constituent certaines des régularités que l’enfant repère et acquière peu à peu.