3.2. Premiers verbes, premières prédications 

‘"The acquisition of verbs as single-word lexical items during the second year of life is the major turning point in children's transition to adultlike grammatical competence."M. Tomasello (1992 : 7).’

Si les prépositions ont souvent été étudiées comme éléments prototypiques du langage spatial (Brugman, 1983; Cuykens et al., 2004 ; Herskovits, 1986; Sinha et al., 1994 ; Talmy, 1985; Vandeloise, 1986) les verbes constituent certainement la première catégorie syntaxique qui vient à l’esprit lorsque l’on s’interroge plus particulièrement sur l’expression du mouvement. Leur apparition dans les productions linguistiques de l’enfant constitue indéniablement un moment charnière de l’acquisition du langage, et de nombreux travaux ont montré que leur acquisition était moins évidente que celle du lexique nominal (Gentner, 1982 ; Golinkoff & Hirsh-Pasek, 2008). Les verbes présenteraient une difficulté particulière car les événements, à la différence des objets, comprennent une grande variété de relations (Gentner, 2003). La difficulté des verbes serait liée à cette complexité plus grande et donc à un problème cognitif : Gentner (1982) a ainsi proposé que des facteurs perceptuels (référence à des objets concrets plutôt qu’à des processus) et sémantiques (organisation du lexique nominal en structures bien hiérarchisées) favorisent l’acquisition des noms. Pourtant, nous savons maintenant que les enfants comprennent très tôt différentes composantes du mouvement, et que cette compréhension est au moins aussi fondatrice que celle de la permanence des objets : la compréhension des actions est même partie intégrante du concept d’objet (voir chapitre I, 2.2.1). Surtout, à l’appui d’une telle thèse, il faudrait que la difficulté observée chez les enfants anglophones soit la même dans toutes les langues du monde. Or, ici aussi, la comparaison inter-langue a permis de nuancer de premiers résultats portant presque exclusivement sur l’anglais, puisqu’elle a révélé des différences. Les travaux portant sur l’anglais avaient montré que la proportion de verbes dans les énoncés holophrastiques était très faible (Bornstein et al. 2004), mais il semble qu’il n’en aille pas de même dans des langues à cadre verbal comme le mandarin (Tardif, Gelman & Xu, 1999), le japonais (Clancy, 1985 ; Ogura et al., 2006) ou le coréen (Choi & Gopnik, 1995, Choi, 1997). De plus, nous l’avons vu, les enfants anglophones parlent très tôt d’événements impliquant déplacement et/ou changement d’état, mais ils utilisent des particules ou interjections plutôt que des verbes (par exemple up, down, in, out, off, uhoh, cités par Smiley & Huttenlocher, 1995).