3.3. Remarques sur l’usage des onomatopées

Les onomatopées constituent certes une catégorie marginale dans la langue adulte (Newmeyer, 1983 ; cité par Imai et al., 2008), du moins dans les langues indo-européennes. Cependant, nous avons vu qu’elles étaient parmi les premiers termes compris et produits par les enfants, en français comme en anglais. C’est peut-être alors du fait des problèmes de catégorisation qu’elles posent que les onomatopées n’ont été prises en compte qu’assez récemment (Nagumo et al., 2006 ; cité par Imai et al, 2008) : d’abord considérées en lien avec leur importance dans la langue japonaise, leur analyse a ensuite permis l’élaboration de l’hypothèse d’un amorçage (« bootstraping ») de l’apprentissage des verbes par le symbolisme sonore (Imai et al., 2008) . Cette dernière a tout récemment été appliquée à l’acquisition de l’anglais (Kantartzis, Imai & Kita, sous presse), ce qui suggère que les effets remarqués ne soient pas spécifiques à la langue japonaise.

En japonais, langue où la classe des termes mimétiques compte plus de 1700 entrées (Atoda & Hosino, 1995; cité par Imai et al. 2008), près de 60% des énoncés adressés à l’enfant et qui parlent d’action en contiennent (Nagumo et al., 2006). Remarquons cependant qu’on trouve dans la langue anglaise des exemples qui peuvent être rapprochés de ceux que donnent Imai et ses collaborateurs à propos du japonais : les verbes de manière de mouvement, ou ceux utilisés dans les constructions résultatives avec ou sans déplacement (cf. chapitre I, 2.2.5), sont bien souvent aussi des symboles sonores : ainsi squeeze, qui mime la difficulté et la pression exercée sur la figure, bump, thump ou clunk qui miment le bruit du choc. Ce degré d’iconicité ne se retrouve semble-t-il que bien peu souvent dans la langue française, et l’on pourra certes s’interroger sur l’impact des différences quantitatives repérées.

Cependant, la bonne comparabilité de la part des onomatopées mesurées dans les inventaires du développement communicatif français et anglais suggère aussi qu’il n’y ait pas ici de différence majeure entre les langues, ou peut-être, pas de différence dans l’intérêt précoce que suscite le symbolisme sonore. Imai et ses collaborateurs proposent aussi que l’enfant reconnaisse très tôt le symbolisme sonore (cf. Ogura, 2001 ; cié par Imai et al, 2008), et ce en vertu de principes qui ne sont pas liés aux caractéristiques de la langue adressée à l’enfant (Davis, 1961 ; Kantartzis, Imai & Kita, sous presse). Pour rendre compte de ces caractéristiques générales (sinon universelles), les travaux liant symbolisme sonore et acquisition du langage s’appuient principalement sur des données expérimentales. Nous nous sommes demandée ce qu’il en était du développement des onomatopées qui accompagne les débuts du langage, tels qu’il s’illustre dans des suivis longitudinaux : à notre connaissance, il n’existe que de rares travaux sur la question, et surtout, la part des onomatopées dans le discours adressé à l'enfant (qui constitue un préalable important) n'a jamais été mesurée.

Les onomatopées peuvent être repérées dans les transcriptions grâce à une convention de CHAT qui consiste à ajouter « @o » à la suite de chacune d’elles. Mais dans nos données, bien peu d’onomatopées avaient été codées de la sorte. Nous avons donc utilisé l’analyseur morpho-syntaxique de CLAN pour les repérer. Les listes existant par défaut dans les dictionnaires du programme sont cependant fort différentes. On trouve 113 items dans la liste anglaise (40 dans la liste principale et 73 composés ajoutés dans une catégorie supplémentaire), et 47 seulement dans la liste française. Cette différence témoigne certes de la présence plus fréquente de symbolisme sonore dans la langue anglaise, mais il nous a semblé qu’elle ne rendait pas vraiment justice à la diversité des onomatopées produites dans les données d’acquisition francophones. Notamment, l’absence d’une catégorie distincte de composés (seuls 19 sont mentionnés, intégrés à la liste principale), permettant de tenir compte de la réduplication qui est l’une des caractéristiques centrales du symbolisme sonore dans toutes les langues (Hinton et al., 1994 : 9) nous a semblé dommageable. Pour ne pas risquer de retrouver ces disparités dans nos calculs de fréquence, nous avons enrichi la liste française sur la base des onomatopées rencontrées dans le corpus de Paris, où l’on trouve un codage systématique dans les transcriptions.