4. Conclusion

En définitive, la priorité qu’accorde le jeune enfant au mouvement ne permet pas de dessiner un ensemble clair de productions qui en seraient directement issues, et consacrées à son expression. Il faut alors remarquer que la notion même de mouvement est extrêmement vaste, et qu’elle désigne par exemple aussi bien des dimensions perceptuelles que fonctionnelles de l’activité humaine. Ainsi la primauté du mouvement recoupe-t-elle bien celle des routines et activités signifiantes déjà repérées dans l’analyse de l’ancrage social ou pragmatique des premières productions. Mais de ce fait, elle ne permet pas de bien distinguer entre les dimensions perceptuelles (Clark, 1973) et fonctionnelles (Nelson, 1974) de ces premières acquisitions. Surtout, elle ne nous dit rien, ou presque, de l’impact de langues différentes sur les premières acquisitions ainsi circonscrites.

D’autre part, nous espérons avoir montré les limites d’une analyse qui cherche à identifier dans les productions précoces un ensemble de « termes relationnels » ou « termes événementiels dynamiques » : catégorie trop vaste, regroupant premiers verbes, premières prépositions ou particules, ainsi que, pour certains auteurs, des ensembles annexes moins bien définis. Le recours aux catégories syntaxiques adultes que sont les verbes ou prépositions revient, lui, à attribuer à l’enfant des connaissances dont rien ne prouve qu’elles soient en place dans les premiers énoncés à un puis deux termes.

L’analyse de ces premiers ensembles a cependant permis de repérer des régularités. Nous reprenons ainsi à notre compte la proposition selon laquelle, pendant les premiers temps de l’acquisition du langage, l’enfant élabore des relations grammaticales fondamentales (Slobin, 1973) : certaines de ces relations pourraient alors être capturées par les premières prépositions et particules, ou premiers verbes repérés. Mais d’autres relations s’élaborent, semble-t-il, hors de ces catégories : par exemple les premières prédications, dont nous avons vu (chapitre I, 3.2.2) qu’elles ne construisaient pas d’emblée catégorie de « verbes », mettront aussi bien en jeu des termes relationnels, mais aussi des onomatopées.

Pour prendre en compte ces autres élaborations, il faut considérer les énoncés produits dans leur ensemble, mais aussi la façon dont elles se construisent en dialogue. C’est l’objet du chapitre suivant, qui afin de pouvoir prendre en compte l’impact éventuel des différences structurelles entre le français et l’anglais, ne considère qu’une partie des premières formes décrites ici : celles qui permettent l’expression du déplacement -qui comme nous l’avons vu au chapitre I, cristallise les différences entre les deux langues. Il propose un examen détaillé et contextualisé des moyens linguistiques mis en œuvre par les mères, puis par les enfants pour exprimer le déplacement.