Résumé

L’ensemble de ce chapitre cherche à éclairer, à partir d’une analyse des premières productions linguistiques d’enfants francophones et anglophones, le lien entre mouvement perçu et son expression, ou du moins le passage de l’un à l’autre.

Nous commencer par poser la question de savoir ce qui, au sein de ces premières productions, est particulièrement précoce. Nous le déterminons à partir des inventaires, qui en donnent une description normée. Les résultats de ces premières analyses permettent d’ajouter à l’idée d’un ancrage socio-pragmatique du langage une hypothèse sur le rôle du mouvement.

Nous examinons ensuite comment cette expression précoce s’organise en familles de marqueurs linguistiques. L’analyse de nos données à partir des catégories mises en avant dans la littérature fait alors ressortir un certain nombre de problèmes.

En particulier, les prépositions sont souvent difficiles à isoler dans les productions du jeune enfant. De plus, la comparaison inter-langue montre que leurs occurrences dans les premières productions langagières sont loin de se correspondre aussi bien que les premiers verbes. Nous avons ainsi montré le rôle des premières particules en anglais, et leur correspondance partielle avec certains usages de prépositions, de noms ou de verbes en français. La comparaison d’analyses en grande partie base sur l’anglais avec nos données d’acquisition du français permet de confirmer les conclusions de Choi & Bowerman (1991 : 103) : “When our attention is confined to English, it is plausible to think that children generate notions of vertical motion nonlinguistically and simply map them directly to up and down.”. Nous montrons alors que les primitives sémantiques ne permettent de capturer qu’une partie des effets de sens, et notamment, que le sémantisme des marqueurs utilisés en français fait ressortir d’autres dimensions. Les verbes, quant à eux, ne sont probablement pas si difficiles que ne l’aurait voulu toute une littérature sur l’acquisition du langage, depuis les travaux de Gentner -ou en tout cas cette difficulté semble toute relative. Ils sont acquis à des rythmes sensiblement identiques chez les enfants francophones et anglophones (avec peut-être un léger avantage d’acquisition en français, qu’il faudrait confirmer sur un échantillon plus large), et l’on trouve des similitudes remarquables dans l’inventaire des premiers verbes : les différences relevées concernant principalement l’expression de la manière. Il se peut cependant aussi qu’une analyse des contextes de production permette de dégager des différences dans la production de ces premiers verbes.

Enfin, nous avons accordé un intérêt particulier aux onomatopées, dont la surreprésentation dans les premières productions des enfants dans les deux langues suggère qu’elles jouent un rôle précurseur et permettent de prendre en compte la complexité des événements spatiaux dynamiques –alors que les premiers verbes et leurs « satellites » se concentrent plutôt sur la composante de changement (et en particulier, sur le résultat de ces changements). Mais ici encore, c’est leur production dans des contextes impliquant des activités ou déplacements particuliers, assortie d’intentions communicatives elles aussi particulières, qui nous éclairera sur leur rôle ainsi que sur les différences éventuelles.