2.1.1. La stylistique comparée, mère de la typologie

Soulignons tout d’abord la parenté souvent oubliée (mais fort justement rappelée par Fortis, 2007) entre stylistique comparée et typologie. Slobin (2005) cite la Stylistique comparée du français et de l’allemand de Malblanc (1963), qui remarque en particulier la richesse exprimée par les verbes allemands au regard des restrictions qui pèsent sur le verbe français. Tesnière élargira ces considérations et proposera (1965 : 309) que : “le verbe allemand exprime le mouvement, tandis que le verbe français exprime le déplacement.”.

Ecoutons un peu plus longuement le propos de celui-ci, et l’on y trouvera déjà la plupart des points d’ancrage de la typologie sémantique :

‘“Soit par exemple la phrase allemande « Anton schwimmt über den Fluss », dans laquelle c’est le verbe « schwimmt » qui exprime le mouvement, et le circonstant « über den Fluss » qui exprime le déplacement, le correspondant français ne saurait en être « Antoine nage à travers le fleuve », les prépositions françaises comme « à travers » n’étant pas susceptibles de prendre la valeur résultative des mots allemands correspondants, grâce à laquelle l’allemand exprime tout naturellement le changement de lieu qui est le résultat obtenu. La seule espèce de mots du français susceptible d’exprimer un déplacement étant le verbe, force est de dire en français Antoine traverse le fleuve à la nage ou Antoine traverse le fleuve en nageant, phrase dans laquelle le déplacement est exprimé par le verbe « traverser » (…). La chose est tellement vraie et le mouvement est si secondaire dans l’expression du déplacement, qu’il peut être remplacé par l’indication d’une activité connexe toute différente. C’est ainsi que l’on dira en allemand : er bimmelte die Strasse hinauf « il montait la rue au son des grelots ».” (Tesnière 1965 : 309-10 ; in Fortis, 2007).’

Mais avec le passage de considérations stylistiques à une typologie des langues, c’est la méthodologie même de la stylistique comparée qui a été oubliée (Lansari, 2009). Même si elle ne s’y restreint pas, la typologie part de la représentation de la langue que fournissent grammaire et dictionnaire, elle produit des inventaires structurés de classes de mots (par exemple, les verbes de mouvement en français et en anglais) et compare des énoncés sans nécessairement en envisager les contextes de production possibles. En revanche, les méthodes de la linguistique contrastive43 intègrent les acquis de la stylistique comparée : il s’agit alors de « cherche[r] à cerner les contextes où la traduction est possible, sans postuler pour autant une équivalence » (ibid, p.6). On ne part plus d’universaux allégués, mais de la singularité et de la diversité illustrées par chaque langue (Franckel et Paillard, 1998 : 56).

Un tel constat n’invalide pas pour autant les acquis de la typologie, auxquels le présent travail fait amplement référence. Il nous conduit plutôt à souligner la pertinence de considérations basées sur l’usage, récemment ajoutées à la typologie, en particulier depuis les travaux de Slobin (par exemple 1996a ; 1996b ; 1997) : ceux-ci ont contribué à redonner aux considérations typologiques une dimension empirique, en soulignant par exemple l’importance des styles conversationnels et le caractère plus marqué de certaines constructions (cf. Pourcel et Kopecka, 2005 pour une discussion de ces aspects). Nous pensons donc que le bon usage de considérations typologiques dans l’étude de corpus veut que l’on prête une attention particulière aux contextes de production (cf. infra). Il convient aussi et peut-être avant tout de bien définir la contribution de la typologie, et d’en connaître les limites.

Notes
43.

Nous désignons ici les méthodes présentées notamment dans l’ouvrage des Guillemin-Flescher (1981), et leur impact sur l’enseignement de la linguistique anglaise et de la traduction, non pas la linguistique contrastive créée dans les années 1950.