Quatre types d’événements

Pour Talmy, la localisation statique constitue un sous-type d’événement spatial, simplement dépourvu du trait dynamique. Pourtant, si l’on considère des exemples simples, il semble que les différences entre le français et l’anglais s’effacent (cf. Pourcel & Kopecka, 2005):

(59) a-Il est là, regarde ! (La mère de Marie, 1;0.03)

b-There’s Spot, he’s under the rug, you see him ? (La mère de William 1;4.10)

(60) a-Who’s hiding behind the rock? (La mère de William 1;4.10)

b-Qui est caché sous le lit ? (La mère de Marie 1;0.24)

C’est pour cette raison que nous n’avons donc pas codé la localisation statique lorsqu’elle constituait un événement en tant que telle, sans impliquer aucun déplacement, comme dans les exemples (59). Cependant, nous avons pris en compte la localisation lorsqu’elle était liée à un déplacement, dont elle peut être le point de départ ou d’arrivée, ou même lorsqu’elle était conçue comme le cadre d’une activité, comme dans les exemples (60). On peut en effet observer alors des différences de conceptualisation, et c’est l’objet de ce codage que de les distinguer : les locuteurs se focalisent davantage sur l’expression détaillée du mouvement dans une langue à satellites comme l’anglais, et ils donnent plus d’information sur la localisation, mais aussi sur des événements conçus comme activités, en présupposant le mouvement, dans une langue à cadre verbal comme le français (Hickmann et al., 2008 : 212). Ici les deux langues envisagent l’événement comme une activité, mais elles auraient pu mettre l’accent sur le déplacement, par exemple, ou sur seul résultat, comme dans les exemples suivants (qui cette fois ne sont pas issus de nos données):

(61) a-Il est allé se cacher sous le lit.

b-Is he stuck behind the rock?

Nous empruntons certains des exemples ci-dessous, propices à la présentation de nos catégories de codage, à Hickmann et al. (2008), les autres sont tirés de nos données.

ACT : activité impliquant un ou plusieurs changements d’emplacement dans un même lieu

(62) a-John ran (in the woods).

b-Jean a couru (dans les bois).

Cette catégorie de codage, appliquée à des situations où l’on observe un déplacement, et où par conséquent certaines langues au moins proposeront une conceptualisation en termes de déplacement, doit permettre de repérer notamment les cas où l’expression de la manière neutralise celle de la trajectoire.

DEV : déplacement volontaire, conçu comme un changement de lieu (et donc d’état).

(63) a-Jean ran away.

b-Jean est parti en courant.

DEC : déplacement causé, lorsqu’un agent cause (volontairement ou non) le déplacement d’un autre participant ou d’un objet.

(64) a-Tu les remets au bon endroit ?

b-Do you want me to put it back in?

DEX : déplacement causé ou volontaire (indécidable, ou ambigu)

En particulier, les premiers usages de up, tout comme ceux de down (cf. exemple 48 ci-dessous)reçoivent des reformulations différentes, qui montrent bien la difficulté de décider du type d’événement qu’ils désignent : mouvement volontaire en a- et b-, causé en c- et d- (reprise de l’exemple (10) ci-dessus).

(65) a-La mère de William (1;4.10) : Up ? We’ll go up later.

b-La mère de Naima (1;4.03) : You want to come up ?

c-La mère de William (1;4.10) : To come up, for mommy to pick you up?

d-Le père de Naima (0;11.28) : Up, pick me up !

Certains usages holophrastiques d’onomatopées peuvent aussi être ambigus.

En français, les premiers verbes utilisés avec des fillers ne permettent parfois pas de décider si l’enfant s’intéresse au mouvement ou au mouvement causé :

(66) Marie (1;11.26) : e@fs tourne (en tendant un objet à sa mère).

Dès que le contexte (c’est-à-dire l’interprétation de la mère) permettait de trancher, nous avons codé DEC ou DEV.

RES : expression du résultat

Nous avons ajouté cette catégorie de codage pour prendre en compte les événements qui impliquaient le déplacement, mais n’étaient conceptualisés que sous l’angle du résultat. En effet, de telles expressions sont fréquentes dans nos données :

(67) a-There!

b-Hop, et voilà !

c-Caché

Remarquons bien que les usages holophrastiques de particules comme up ou down en anglais n’entrent pas dans cette catégorie, puisque (et c’est une particularité remarquable de ces marqueurs) ils expriment conjointement trajectoire et résultat.

Enfin, il faut préciser que ce codage des événements revient à prendre en compte le type de conceptualisation linguistique de l’événement, et non ses caractéristiques objectives. Ainsi les deux énoncés suivants n’expriment-ils pas la même chose, même s’ils font référence au même jeu de Naima (qui consiste à laisser tomber des objets de sa chaise haute) :

(68) a-It fell down again!

b-You keep throwing the same one down over and over again.

Dans le premier cas, nous avons code DEV, et dans le second DEC. Ces deux catégories peuvent d’ailleurs être difficiles à distinguer dans les productions précoces quelle que soit la langue : c’est précisément pour cela que nous avons eu besoin d’une catégorie de déplacement non explicitement causé ni volontaire (DEX).