Chapitre IV : Up et l’acquisition des prédicats complexes
Au-delà de l’explication typologique

La mère de William dit : « You finished all that juice up, huh? »
La mère de William dit : « You finished all that juice up, huh? »

1. Introduction

Nous avons, à dessein, limité jusqu’ici la portée de nos analyses aux seules productions langagières se rapportant au mouvement puis au déplacement concret. Ce faisant, nous avons remarqué à plusieurs reprises que les marqueurs utilisés n’avaient pas uniquement des valeurs spatiales. L’objet de ce chapitre est d’analyser le développement d’un des premiers marqueurs utilisés par les enfants anglophones dans l’expression du déplacement, pour voir comment s’articulent les différents effets de sens, et comment l’enfant acquiert les prédicats complexes, qui bien souvent n’ont pas une valeur spatiale.

U p est un marqueur spatial (directionnel) mais aussi et peut-être avant tout aspectuel: Cadiot (2002:10) le décrit par exemple comme marqueur d’accompli. Cependant, ainsi que nous l’avons montré (chapitre III, 3.1.2), l’éventuelle antériorité ou primauté de l’un de ces emplois est bien difficile à isoler clairement des premiers usages observés en situation écologique, dans des suivis longitudinaux (voir aussi Zlatev, 2003)peut-être en partie parce que ceux-ci ne nous offrent qu’une fenêtre d’observation limitée sur les productions langagières de l’enfant (Tomasello & Stahl, 2004). Peut-être aussi et surtout parce que les locuteurs eux-mêmes n’ont pas conscience de l’antériorité ou de la primauté d’un effet de sens :

‘« Speakers generally don’t know which of related senses is original » (Lindner, 1981:47)’

Ce sont en tout cas les problèmes de catégorisation que posent les premiers emplois de « particules » comme up , qui justifient la démarche de ce dernier chapitre, où nous partons du marqueur et analysons l’évolution de ses usages, sans suggérer a priori qu’elle suive l’évolution du langage, de la trajectoire à l’accompli. L’acquisition de ce petit mot pose en fait deux types de problèmes : comment caractériser ses premières valeurs, et l’évolution de celles-ci, d’une part, et comment expliquer l’ordre d’acquisition des constructions où up intégré dans un verbe à particule, mais apparaît d’abord en fin d’énoncé, comme dans l’exemple (158) b- ci-dessous :

(158) a- You finished up all that juice.

b- You finished all that juice up.

Ce second problème nous invite à reconsidérer le lien entre ordre d’acquisition et complexité formelle :

‘“Although there is a rough correlation between formal complexity in the grammar and order of acquisition by children, there are also many exceptions.” (Bates & MacWhinney, 1979 : 209).’

En effet, qu’il s’agisse ou non d’une exception à une corrélation fréquemment observée ne suffit pas à expliquer la préférence des enfants pour le placement de la particule en fin d’énoncé. Peut-être faut-il alors repenser la complexité en tenant compte des caractéristiques fonctionnelles des premiers usages du marqueur ?

Nous nous interrogeons ici sur l’existence d’une continuité développementale, ancrée dans les premiers énoncés de l’enfant, où le recours au seul marqueur up, étayé de variations intonatives et gestuelles, permet de distinguer une variété d’usages. Existe-t-il un lien entre ces premières constructions multimodales et le développement d’un up adverbial, plus ou moins intégré au verbe ? Les verbes à particule se construisent-ils comme un seul et même ensemble ?

Nous verrons comment l’analyse détaillée des données nous ramène à la question de la primauté du spatial, mais que le type d’explication qu’une telle hypothèse peut apporter reste limité. Nous mettrons alors en avant l’importance d’un autre facteur : la prise en compte d’une zone saillante en fin d’énoncé, qui fonctionnerait comme un point d’appui dans l’acquisition de constructions de plus en plus complexes.