2.2. Le sens central : primauté ou primarité du spatial ?

Les grammaires suggèrent que les verbes à particule aient un double ancrage spatial : ils dériveraient à la fois de verbes de mouvement et de particules directionnelles, comme le suggère cette définition tirée de l’entrée « phrasal verb » du Concise Oxford Companion to the English Language :

‘“Such composites derive primarily from verbs of movement and action (go, put, take) and adverbial particles of direction and location (up, off, down)” (McArthur, 1998).’

Comme dans l’ouvrage de Bolinger, le sens spatial est donné comme centre organisateur d’où dériveraient les autres usages. Mais ces dérivations désignent la diachronie, et en tant que telles n’existent probablement pas comme principes opératoires dans l’esprit de tout sujet parlant. M-L Groussier (1997) a bien expliqué l’importance de distinguer entre primarité du spatial en diachronie, et une primauté souvent alléguée à tort :

‘« Il est évidemment tout à fait exclu de prétendre démontrer que, dans les langues dotées de prépositions, toute expression de relations aux moyen de prépositions soit l’expression de relations spatiales, tout autant que d’attribuer, en synchronie, au sens spatiaux des prépositions, un quelconque rôle dominant : primarité n’est pas primauté. »’

Cette confusion fréquente résulte probablement d’une lecture un peu hâtive de l’interprétation qu’a fait la grammaire cognitive de la primarité du spatial. Il s’agit en réalité de chercher des principes organisateurs plutôt que des usages centraux, et Quayle (1994 :72) a bien montré que ce qui est donné comme le noyau d’un « ensemble flou » (Zadeh, 1965 ; cf. Lakoff, 1987), ou prototype, en linguistique cognitive n’est pas forcément le sens que l’on définit comme « central » en travaillant sur l’usage. Un tel noyau de sens ne bénéficiera pas non plus nécessairement d’une priorité d’acquisition. Il correspondrait plutôt ce que locuteurs donnent comme première définition : le caractère central ainsi défini se situe au niveau notionnel (Culioli, 2000), en diachronie comme dans l’ontogenèse. Il n’est donc pas étonnant que nous ne retrouvions pas une primauté du « sens central », spatial de up (déplacement orienté sur l’axe vertical) dans nos suivis longitudinaux, puisque ce que les locuteurs donnent comme première définition ne correspond pas forcément aux usages les plus fréquents dans les enregistrements sur lesquels nous travaillons : les contextes interactionnels mettent en avant, ainsi que nous l’avons montré au chapitre III, le besoin de l’enfant qui veut être porté, et celui-ci prime sur la simple description des mouvements environnants. Et qu’il demande à être porté ou effectue un commentaire sur la chute d’un objet (cette fois-ci avec down), l’enfant se focalise certainement au moins autant sur le résultat que sur la trajectoire elle-même. Ce passage d’une trajectoire bornée (Jackendoff, 1990, 1996) ou orientée vers un but (Cappelle & Declerk, 2005) au sens résultatif est l’objet de la section suivante, où nous interrogeons l’idée d’une continuité du spatial à ses extensions présumées.