6. Discussion

6.1. Primauté du spatial  ?

Les deux familles de constructions observées ci-dessus suggèrent que nos deux catégories sémantiques de up fassent l’objet d’un traitement distinct. Elles tendent surtout à montrer que les premiers usages de up, que l’on peut en première approximation caractériser comme spatiaux, conduisent peu à peu à l’acquisition de constructions complexes, et à l’ébauche de postpositions au sein desquelles le sémantisme spatial est conservé. Faudrait-il alors reconsidérer l’application d’une hypothèse localiste (Lyons 1977, Jackendoff 2003) à notre compréhension de l’acquisition du langage ?

Il y a, selon nous, deux objections majeures à apporter à une telle interprétation des résultats. D’abord, elle conduit à exclure les dimensions aspectuelles dont nous avons montré qu’elles étaient présentes dès les premiers usages de up . Même si nous les avons catégorisés comme usages spatiaux, il serait donc abusif de dire que ces usages sont uniquement ou prioritairement spatiaux. L’enfant qui dit up parle, nous l’avons dit, tout autant de son besoin d’être porté, par exemple, que de trajectoire le long d’un axe vertical. Remarquons aussi que si up garde un sens spatial dans ces constructions que nous avons appelées locatives, il ne désigne pas pour autant la trajectoire, qui est plutôt, ici encore, sous-entendue au profit de la localisation à son terme.

Deuxième point, les usages spatiaux de up sont aussi en proportion significativement plus élevée que les usages non spatiaux dans le discours adressé à l’enfant (presque 63% des 535 énoncés adultes codés, cf. figure 72 ci-dessous). Or, nous avons codé le même nombre d’énoncés dans des échantillons variés du Corpus of Comtemporary Spoken American 71 et du Open ANC 72 , et les résultats montrent une différence non significative entre valeurs spatiales et non spatiales, se démarquant ainsi nettement de la distribution que l’on trouve dans nos données.

Figure 72 : usages spatiaux et non spatiaux de UP chez les mères de William et Naima (à gauche) vs. dans le corpus « Contemporary Spoken American » (à droite)

On voit bien alors l’importance du contexte dans le choix de l’une ou l’autre valeur : la fréquence des usages spatiaux ne suffit par conséquent pas à déterminer leur primauté, ni leur caractère prototypique. Elle suggère par contre que ces emplois aient plus d’impact dans l’appropriation des conduites langagières, du fait même de leur fréquence.

Notes
71.

Le plus grand corpus de langue anglaise en accès libre, choisi pour ses caractéristiques linguistiques plus proches de nos données que le BNC, mais aussi pour la variété de ses données orales (plus de 80 millions de mots) http://www.americancorpus.org/

72.

Utilisé en complément pour ajouter des conversations spontanées, il comprend plus de trois millions de mots pour la section orale http://www.anc.org/OANC/