6.2. Construction d’une zone de saillance

L’autre facteur dont nous avons montré l’importance tout au long de ce parcours a pour nous un plus grand pouvoir explicatif. De nombreux travaux ont en effet montré le rôle de la saillance perceptuelle dans la compréhension qui rend certains éléments plus facile à extraire puis à interpréter (Slobin, 1973 : 191 et sq., Shady & Gerken, 1999). C’est précisément ainsi que Slobin (1973) puis Smiley & Huttenlocher (1995) expliquent que les enfants anglophones utilisent des particules comme up, down ou off au lieu de verbes pour parler d’événements spatiaux, à cause de leur fréquence en position finale dans l’input. Nous avons commenté au chapitre III ces extractions des éléments en position finale que l’on retrouve tant avec upchez les enfants anglophones qu’avec les « bras » repris par les enfants francophones d’énoncés comme « Tu veux venir dans mes bras ? ».

L’importance accordée par l’enfant aux éléments qui se trouvent en position saillante a notamment été utilisée pour expliquer différences typologiques dans l’acquisition des verbes (Goldfield, 1993; Naigles & Hoff-Ginsberg 1998) : il nous semble que ce que nous observons ici est du même ordre, puisque la saillance perceptuelle permet à l’enfant de prendre en compte, très tôt, des éléments déjà complexes et sur la base desquels il établira la complexité syntaxique. On retrouve ici encore un lien entre perception et production précoce à travers la priorité qu’accorde l’enfant à ce qui se trouve en position saillante. C’est ce que nous nous proposons d’appeler la construction d’une zone de saillance, et à propos de laquelle on peut faire l’hypothèse qu’elle constitue un moment clé de l’acquisition syntaxique. En effet, l’évolution des constructions avec upmontre que l’enfant se sert de cette zone clé comme point d’appui permettant la complexification progressive des énoncés.