I-1.1.2. Les évolutions du travail dans le secteur public

Il est clair que les entreprises privées sont davantage exposées à ces formes d’évolution. Les recherches qui analysent les effets du travail sur la santé s’intéressent principalement au secteur privé, comme s’il était l’espace où l’on s’attendait plus naturellement à trouver de la souffrance, du stress et des violences. Toutefois, et même si les salariés de la fonction publique sont considérés à l’abri de ces évolutions économiques et managériales, protégés par la sécurité de l’emploi et privilégiés car disposant de nombreux avantages, la situation de ces agents peut se rapprocher de celle des salariés du privé ((Benach, Gimeno & Benavides, 2002 ; Davezies, 1999 ; Huez, 1994, 1998 ; Mallet, Parnaudeau, Pasteur & Seznec, 2005 ; Platt, Pavis & Akram, 1999). Nous retrouvons ainsi quasiment les mêmes pénibilités dans les secteurs privé et public. On observe d’ailleurs un déplacement des logiques industrielles vers les logiques du service public. Ces pénibilités sont néanmoins souvent accentuées par la dévalorisation dont souffrent les agents du service public dans leur fonction. Et, comme dans le secteur privé, chaque filière4 connaît des difficultés attribuables aux formes d’organisation interne et à la nature de l’activité (Edey Gamassou, 2007). Les entreprises publiques connaissent également de nombreuses transformations et les agents doivent s’adapter à de nouveaux contextes prescrits par la modernisation de leur activité. Ils doivent, non sans difficulté, renoncer aux valeurs et référents qui fondent leur pratique quotidienne qui opèrent dans l’action et y substituer des prescriptions exogènes parfois désapprouvées (Hanique, 2005). Ces évolutions concernent également le lien, parfois dégradé, à l’usager (Chappell & Di Martino, 2000).

Ensuite, comme dans le secteur privé, les entreprises publiques se confrontent à la généralisation de l’informatisation et ne sont pas exemptes de la survenue de troubles musculo-squelettiques (Jetté, Delisle, Larivière, Plamondon, Marchand & Stock, 2006). Elles connaissent également les différentes formes de fragilisation dont peut faire l’objet le salarié du secteur privé, notamment celle des violences internes et des « mises au placard » (Ravisy, 2004), causées parfois suite aux élections et au changement de majorité. Dans ce milieu, les logiques administratives peuvent se heurter aux logiques politiques. De plus, bien que leur statut autorise différentes sortes de mobilité, les agents qui en font la demande rencontrent bien souvent des obstacles et peuvent se sentir pris au piège dans une fonction (Edey-Gamassou, 2007). Enfin, à la notion de service public, qui occupe une place centrale pour situer l’action, orienter les conduites, qui fait référence à la tradition d’une générosité sociale et à un projet de solidarité nationale, vient progressivement s’intercaler une composante commerciale (Hanique, 2005). Celle-ci pousse à une révision profonde des référents culturels pour l’agent, de l’image de l’agent par l’usager et au désinvestissement du cadre bureaucratique de la part de l’institution (Ibid.). L’introduction de cette composante, qui tend à faire des agents également des vendeurs, détourne l’intention initiale de leur action et dénature le sens de l’activité collective. Hanique (2005), en étudiant la transformation du lien social et subjectif que les guichetiers de La Poste entretiennent à leur travail et à leur institution, sous l’effet des changements issus de la modernisation, montre que lorsque l’institution introduit dans l’activité de l’agent une nouvelle dimension commerciale en même temps qu’elle défend une image et des valeurs de service public, place les agents au cœur de cette ambivalence. Ils doivent assumer le coût psychique de cette « supercherie » (p. 131).

A partir des évolutions qu’ont connues les organisations, l’intensification du travail a lourdement pesé sur la transformation des conditions de travail. Celles-ci ont connu de nombreux changements qui se justifient par la nécessité d’adapter l’organisation du travail aux évolutions socio-économiques. Enfin, elles se traduisent dans des formes spécifiques d’intensification du travail, lesquelles redistribuent la donne en termes de contraintes de temps, d’autonomie, de coopération et dans lesquelles la subjectivité est interpellée autrement.

Notes
4.

On compte six filières dans la fonction publique territoriale par exemple : administrative, technique, culturelle, sportive, sanitaire et sociale et sécurité.