I-1.1.3. La transformation des conditions de travail et l’intensification du travail

De nombreuses études rappellent l’influence du travail et ses évolutions sur la santé (Daubas-Letourneux & Thébaud-Mony, 2002 ; Derriennic, Touranchet & Volkoff, 1996 ; Lacomblez, 2000 ; Marquié, Paumès & Volkoff, 1995 ; Teiger, 1989). Des études et enquêtes définissent ces différentes évolutions par le terme d’ « intensification du travail » (Askenazy, Cartron, de Coninck & Gollac, 2006 ; Beaujolin-Bellet & al., 2004 ; Durand & Linhart, 2006 ; Linhart, 2005 ; Veltz, 2000 ; Zarifian, 2005). Elle s’exprime essentiellement par un resserrement et un cumul des contraintes temporelles (Askenazy & al., 2006 ; Boisard, Cartron, Gollac & Valeyre, 2002 ; Fernex, 1998 ; Gollac & Volkoff, 1996). Les enquêtes montrent une dégradation des conditions de travail ressentie par les salariés. Les formes d’intensification du travail entraînent souvent une perte de contrôle sur l’activité et pèsent fortement sur l’organisation du travail et la vie des salariés. Les conditions d’emploi interdisent parfois la négociation des horaires et des conditions de travail. Ces mêmes études soulignent que l’intensification du travail peut fragiliser la santé physique et psychique de l’individu (Guilho-Bailly, 1998).

L’intensification du travail s’exprime avant tout par les contraintes temporelles toujours plus importantes imposées aux salariés. Cependant, l’intensité du travail n’est pas forcément la cause de souffrance et d’atteinte à la santé ; elle peut correspondre à ce que Gollac & Volkoff (2006) appellent un certain « bonheur professionnel ». Cette forme d’intensité nourrit l’identité de l’individu et son rapport au travail qui, par l’excitation voire l’exaltation qu’il génère pour le travailleur, réclame une mobilisation permanente (Cartron, 2003 ; Godechot, 2001). Toutefois, cette mobilisation permanente, qui oblige l’individu à continuellement côtoyer ses limites propres, se rompt sous l’effet de l’usure ou d’une surcharge importante. Cette réaction, qui donne la parole au corps et à ce qu’il ne peut plus supporter, est souvent la seule réponse face aux nouvelles formes d’organisation qui exigent un engagement psychologique et qui ne se prêtent pas au retrait (Balazs & Faguer, 1996). Cette réaction peut devenir à son tour un risque de perdre son emploi, puisqu’il signifie la perte de contrôle de soi et de l’équilibre psychique, ainsi que la désadaptation de l’individu à son milieu. Et, en prenant alors pour lui la forme d’un échec dont il se rend responsable, cette réaction devient un risque pour sa santé psychique. De son côté, Loriol (2005) explique que de nombreuses situations de travail, notamment dans les services, sont marquées par l’ambivalence. Dans le même temps, les salariés doivent parfois répondre à des rôles mal définis ou contradictoires qui vont créer de l’incertitude. De telles situations peuvent quelquefois être sources de stress mais, d’autres fois, elles peuvent être l’occasion pour le salarié d’augmenter ses marges de manœuvres et de se soustraire au contrôle des autres (Crozier & Friedberg, 1977). Cette différence d’attitude ou de réactions à la situation peut s’expliquer par des facteurs individuels. Mais le plus souvent, « le sens est plutôt à chercher dans le fonctionnement social », et les marges de manœuvre plus ou moins grandes laissées par l’organisation pour atteindre les objectifs (Loriol, 2005, p. 38).

Dans ce contexte, l’Homme est nécessairement flexible, et le temps de travail, comme l’œuvre collective, est « saucissonnée » par agent, par métier, dans une logique d’utilisation optimale de la main-d’œuvre. Ces bouleversements au cœur des logiques industrielles envahissent inévitablement le cœur de l’activité du travailleur et la gestion individuelle et collective du temps au travail. On peut supposer que, dans les modes de production actuels, le temps de penser l’activité à réaliser s’est profondément réduit. Ces diverses évolutions ont eu des effets considérables sur les contextes de travail. Les salariés doivent faire face à de nouvelles situations, et peut-être à d’autres risques pour leur santé psychique. Elles peuvent également se définir au travers des ambiguïtés et contradictions qu’elles posent à l’individu dans la réalisation de son activité et dans le maintien de son statut, et qui se révèlent être de véritables contraintes psychologiques.