I-1.1.3.2. Le conflit au cœur du collectif : entre volonté de coopération et exigence d’individualisation

L’évolution des organisations revêt divers aspects contradictoires et cela précisément dans le domaine des activités collectives de travail (Carpentier-Roy, 1998 ; Magaud & Sugita, 1993). En effet, les managers affirment leur volonté de donner la priorité à la coopération, à l’esprit d’équipe et à la régulation par le collectif. Mais, à côté de cela, les caractéristiques objectives de l’organisation du travail constituent de vrais obstacles à ces fonctionnements collectifs. Les postes sont isolés renvoyant chacun à sa tâche, l’urgence qui rythme l’activité renvoie chacun à ses priorités (Magaud & Sugita, 1993). Ce paradoxe est celui de la coexistence d’une exigence à la participation collective et de pratiques managériales qui individualisent les salariés (Carpentier-Roy, 1998). Il a des effets sur la santé psychique des individus. Ces organisations du travail, en générant des fractures individu/collectif, privent les sujets de l’outil identitaire que constitue le collectif de travail et que nourrit la culture de métier. On assiste à « l’évacuation du sujet agissant au profit de l’acteur opérant » (Ibid., p. 119). Pourtant, le fonctionnement collectif, fondé sur une histoire commune (Clot, 1999a ; Caroly & Clot, 2004), qui suscite l’entraide, le partage des tâches, est une ressource essentielle pour concilier les exigences du travail et la nécessité de préserver la santé. Il favorise également la prévention des formes d’exclusion au travail (Cloutier, David, Prevost & Teiger, 1998). En permettant le développement des coopérations, les espaces de travail permettent l’émergence de la créativité nécessaire pour parvenir à réaliser l’activité en réinventant la prescription collectivement (Dejours, 1992). La coopération engage dès lors une activité normative et productrice de règles pour gérer l’écart entre la tâche prescrite et l’activité réelle. A l’inverse, une insuffisance de coopération ou d’entraide est associée à une incidence accrue des troubles de santé. Enfin, lorsque que l’on empêche au collectif de se réaliser en devenant une ressource pour l’activité, des incidents et accidents peuvent survenir (Caroly, 2002 ; Huez, 1996).

Ainsi, on observe un phénomène de désolidarisation des collectifs, un « effritement des rapports sociaux » (Carpentier-Roy, 1995, p. 123), confirmés par les résultats d’études issues de l’industrie, lesquels mettent en évidence une fragilisation des collectifs traditionnels, fondés sur le lien communautaire et remaniés par les nouvelles pratiques de management (Coutrot, 1998 ; Linhart, 1994). Ces phénomènes agissent d’une autre manière sur le traitement donné aux difficultés vécues au travail. En effet, ces mouvements de désolidarisation, d’individualisation des rapports sociaux et plus généralement le développement d’une morale de l’épanouissement personnel, expliquent la tendance souvent observée d’une psychologisation des difficultés du travail (Loriol, 2005, p. 40).

Enfin, un autre aspect doit être souligné dans l’étude des conséquences de l’intensification du travail sur l’équilibre psychologique individuel : celui de la prescription, non pas celle qui fait référence aux règles prescrites auxquelles l’individu doit répondre pour réaliser son activité, mais bien celle qui s’impose à lui, celle qui va puiser au plus profond de lui, c’est-à-dire lorsque la subjectivité même devient un outil de travail.