I-2.1.1. Précarité, précarisation et santé

D’un côté, on peut considérer les processus de précarisation et leurs effets sur les individus en tant que menace d’une stabilité sociale, et de l’autre, la réalité de la précarité et ses effets sur la santé. Longtemps considérée comme synonyme de pauvreté, rattachée également à l’exclusion, la précarité, par les problématiques de santé qu’elle dévoile, est devenue une notion signifiant une réalité particulière, jusque là invisible. Cette notion reste encore aujourd’hui floue, malgré les nombreux travaux réalisés sur le sujet (Castel, 1995 ; Cingolani, 2005 ; Nicole-Drancourt, 1992 ; Paugam, 2000). Recourir à des définitions trop restrictives ou trop générales ne permet pas de saisir la complexité des enjeux qui entourent ce type particulier de situation. Toutefois, l’analyse des problématiques de santé liées à la précarité a permis d’en saisir les processus (Fieulaine, Apostolidis & Olivetto, 2006). Elle a, dans le même temps, favorisé sa prise en compte dans le domaine public. Ainsi, la question des travailleurs précaires, émergeant comme catégorie à part entière, situés à l’interstice du chômage et du travail, a représenté l’origine d’une problématique sociale qui s’est ensuite élargie, en se diffusant à une multiplicité de domaines sociaux et de vécus individuels (Fieulaine, 2006). Cette généralisation de la notion de précarité dans le champ social a conduit certains auteurs à abandonner le terme de précarité pour parler de précarisation, c’est-à-dire des processus de mise en précarité s’appliquant de manière variable selon les groupes sociaux (Ibid.). En effet, la réalité sociale du travail est aussi définie à partir des processus de précarisation qui pèsent sur chaque trajectoire individuelle et professionnelle. Paugam (2000) définit les expériences sociales du travail selon deux composantes de l’intégration professionnelle : celle du rapport au travail8 et celle du rapport à l’emploi9. De ce fait, chaque parcours professionnel peut être considéré comme la succession des positions objectivement et subjectivement occupées par les individus sur chacun de ces deux axes (Hélardot, 2006). Cette conception décousue des trajectoires, faites de ruptures et d’instabilité, alimente un sentiment d’insécurité. La réalité de la précarisation de l’emploi menace les travailleurs à la fois dans leur travail, mais également envahit l’entourage familial, jusqu’à menacer leur identité professionnelle. Fieulaine (2006) précise que les processus de précarisation à l’œuvre dans le champ social modifient les modes d’insertion sociale, les situant dans un entre-deux, « à la fois inclus et exclus ». Ces processus impliquent le remaniement permanent des investissements sociaux, identitaires et cognitifs. L’instabilité, qui fragmente les vécus dans le temps, est source de vulnérabilisation pour l’individu et son entourage social. Les processus de précarisation ont donc des conséquences sur l’état de santé, physique ou psychologique, et la qualité de vie de l’individu. Ces effets apparaissent comme des révélateurs des mécanismes psychosociaux à l’œuvre face aux mutations sociales. L’auteur analyse, à partir d’une approche psychosociale, le rôle du rapport au temps dans les vécus en situations de précarité et leurs conséquences sur la santé. Il écrit que « l’inscription sociale précaire, par sa nature instable et incertaine, questionne de manière centrale la possibilité de se représenter de manière cohérente son passé, d’avoir la maîtrise de son présent et de construire des anticipations ou des projets pour l’avenir » (p. 16). Enfin, des médecins du travail français ont constaté que la précarisation, parce qu’elle morcelle les parcours professionnels, réduit le soutien social et les marges de manœuvre, accumule les effets négatifs sur la santé physique et psychique (Huez, 1996).

Par ailleurs, la précarité pèse sur la perception des conditions de travail et peut amener les individus à prendre davantage de risques et compromettre ainsi leur sécurité et leur santé.

Notes
8.

Il se définit par les dimensions de la satisfaction des salariés dans l’exercice de leur travail (le niveau de salaire, les conditions de travail, le plaisir lié à la nature des tâches, les relations avec les supérieurs et les collègues).

9.

Il relève de la logique protectrice de l’Etat social et se définit dans le degré de stabilité de la situation professionnelle, à travers la nature du contrat de travail ainsi que par la perception de la sécurité ou de l’insécurité de l’emploi (Castel, 2003).